Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 51 Tout est fatal

Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Stephen King : Tout est fatal

(Everything's eventual)

nouvelles fantastiques

 chercher ce livre sur amazon.fr

chronique par Philippe Paygnard

Stephen King est un auteur à succès, c'est un fait qu'il est difficile de contester, mais, et c'est sans doute paradoxal, j'ai toujours trouvé que ses textes courts étaient bien moins percutants et bien moins convaincants que ses romans, fussent-ils du genre romans-fleuves. La lecture de Tout est fatal1, qui regroupe quatorze textes publiés, entre 1997 et 2001, sous diverses formes et dans divers supports, offre donc l'occasion idéale pour se forger une nouvelle opinion sur le nouvelliste que peut être Stephen King.

De par leurs origines variées, les quatorze nouvelles présentées dans Tout est fatal se révèlent d'une grande diversité. On trouve ainsi des textes courts qui ne durent que le temps de quelques pages, à l'image de "Petite chansseuse", mais aussi des récits comme "les Petites sœurs d'Eluria" capables de rivaliser avec de véritables romans. Au-delà de la taille, la diversité des textes proposés se manifeste à travers les thèmes abordés. Ainsi, les histoires réunies dans Tout est fatal ne se cantonnent nullement à un seul genre. La Fantasy est présente avec une aventure de jeunesse de Roland de Gilead, mais il y a aussi de l'horreur pure avec "1408" ou, plus étonnant, du polar presque classique avec "la Mort de Jack Hamilton". La couleur dominante de l'ensemble reste cependant le fantastique qui est présent du début jusqu'à la fin de ce recueil.

Ultime remarque liminaire, l'ordre de présentation des nouvelles ne suit aucunement la chronologie de publication originale des textes regroupés dans Tout est fatal. Dans sa préface, Stephen King précise, avec son sérieux habituel, qu'il a laissé le hasard décider en procédant à un tirage au sort grâce à un jeu de cartes… Il faut croire alors que c'est un mauvais hasard qui a placé en tête de volume deux textes relativement faibles où Stephen King se contente de reprendre, sans grande originalité, des thèmes déjà maintes fois abordés par d'autres romanciers, nouvellistes ou scénaristes. Dans la "Salle d'autopsie quatre", on retrouve ainsi le pauvre Howard Randolph Cottrell qui est sur le point d'être autopsié de son vivant, alors que, dans "l'Homme au costume noir", le jeune Gary rencontre un étrange inconnu qui semble bien être la Mort personnifiée. Dans les deux cas, j'espérais un rebondissement final, mais c'est un happy end quelque peu convenu qui clôt sans surprise ces deux nouvelles.

Suivant cette bien fade entrée en matière, Stephen King nous plonge ensuite, avec une bonne dose de réalisme, dans ce qui pourrait être la dernière journée d'Alfie Zimmer. Au crépuscule de sa vie de voyageur de commerce, ce dernier n'envisage plus que le suicide comme porte de sortie à une existence sans espoir dans la nouvelle "Tout ce que vous aimez sera emporté". C'est encore un évident souci de réalisme presque historique qui domine "la Mort de Jack Hamilton" où le célèbre gangster John Dillinger joue les guest stars. "Salle d'exécution" pourrait elle aussi appartenir à la veine réaliste du nouvelliste Stephen King, s'il n'avait fait le choix d'une conclusion très hollywoodienne avec un happy end plutôt inattendu.

Le texte suivant crée une véritable rupture puisqu'il nous entraîne dans l'univers de la Tour Sombre pour suivre une aventure de jeunesse du fameux Pistolero. Fidèle à lui-même, Roland de Gilead, héros de ces "Petites sœurs d'Eluria" nous fait ainsi visiter un des recoins méconnus de l'Entre-deux-mondes. Empreint d'une certaine poésie, ce récit vampirique constitue une fort jolie introduction à l'univers de la Tour Sombre.

Après cette escapade en terre de Fantasy, Stephen King nous ramène vers un Fantastique plus classique, celui de Carrie ou de Charlie, en nous faisant découvrir un personnage doté d'un pouvoir psychique et une agence para-gouvernementale qui semble être la digne héritière de la Boutique. Je dois dire que c'est avec une certaine nostalgie, mais surtout avec un grand plaisir, que j'ai lu le journal intime de Dinky Earnshaw, anti-héros par excellence de "Tout est fatal".

Je suis convaincu que l'on peut très bien écrire une nouvelle ou même un livre à partir d'une seule idée, mais celle qui est à la base de "LT et sa théorie des AF" ne m'a pas convaincu du tout. Fort heureusement, ce n'est pas le cas de la nouvelle suivante, "Quand l'auto-virus met cap au nord", dont le héros, un écrivain, sent sa vie menacée par un étrange tableau hanté.

Les deux nouvelles qui suivent ont un petit goût français, même si ce n'est peut-être qu'un arrière-goût. En effet, le maître d'hôtel meurtrier de "Déjeuner au Gotham Café" semble avoir des origines françaises, quant à "Cette impression qui n'a de nom qu'en français", c'est bien évidemment le déjà-vu, qui prend ici les apparences d'une plongée dans l'enfer d'une imparfaite boucle temporelle.

Enfin, malgré son grand classicisme, "1408" est certainement l'une des meilleures nouvelles de ce recueil. On retrouve dans cette histoire de chambre d'hôtel hantée le maître de l'horreur viscérale que peut être Stephen King, surtout lorsque son héros est un romancier comme lui. La qualité est encore au rendez-vous avec "un Tour sur le Bolid" qui, sous l'allure d'une simple histoire de fantôme, permet à Stephen King de livrer quelques réflexions personnelles sur la mort.

Tout est fatal se termine pourtant par un récit plus léger, "Petite chansseuse" où Darlene Pullen, une femme de chambre de Las Vegas, fait un rêve à propos d'une pièce porte-bonheur qui pourrait bien être prémonitoire.

Alternant le pire et le meilleur, l'excellent et le passable, Tout est fatal est finalement un recueil très inégal. Les fidèles lecteurs de Stephen King, qui ont certainement déjà eu l'occasion de lire certains des textes présentés, et souvent les meilleurs, dans d'autres anthologies ou revues, peuvent donc sans crainte se dispenser de faire l'acquisition de cet ouvrage. Pourtant, l'investissement (réduit pour cette édition de poche) n'est pas totalement inutile puisque Tout est fatal contient quelques vrais inédits, dont l'excellent "1408", sans oublier la véritable valeur ajoutée que représentent les préfaces ou les postfaces que Stephen King a spécialement écrites pour l'occasion. Pour moi, le bilan de cette lecture reste cependant très mitigé et Tout est fatal n'est pas encore le recueil de nouvelles qui me fera revenir sur l'idée que je préfère King le romancier à King le nouvelliste. Mais ce n'est qu'un avis personnel.

Notes

  1. Pour les cinéphiles : plusieurs des nouvelles de Tout est fatal ont fait l'objet d'adaptations cinématographiques, la plupart sous forme de courts-métrages à l'instar de "Salle d'autopsie quatre" adaptée et mise en scène par Stephen Zakman, en 2003, ainsi que "l'Homme en costume noir" par Nicholas Mariani et "Tout ce que vous aimez sera emporté" par James Renner, en 2004, sans oublier "Petite chansseuse" par Robert David Cochrane, en 2005. Enfin, Mick Garris a transformé "un Tour sur le Bolid'" en un long-métrage, en 2004.