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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 54 Fiction

Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006

André François Ruaud : Fiction : 3, printemps 2006

revue de Science-Fiction, de Fantastique et de Fantasy

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chronique par Pascal J. Thomas

Nous retrouvons le Fiction des Moutons électriques bien installé dans sa formule : une sélection de textes traduits de la revue-mère — qui présente autant de classiques issus des dix ou quinze dernières années que de relatives nouveautés —, une poignée de textes français, des entrevues, des inclassables (textes ultra-courts, illustrations rétro) et une pincée homéopathique d'actualités et de chroniques.

Commençons par ces derniers. C'est Jeffrey Ford qui fournit les textes courts, six parodies d'autant de genres de la littérature populaire qui tiennent chacune en une phrase — passablement surchargée et ampoulée, pour arriver à remplir une page. Ils sont donnés en VO et VF. Félicitations à Patrick Marcel pour ses traductions ! Les chroniques, comme toujours, sont tenues par Francis Valéry, très en forme dans ce numéro — il glisse même quelques commentaires sur la cuisine et le rangement de sa bibliothèque, c'est dire1 —, d'humeur positive et enclin à parler de S.-F. Profitons !

Toujours dans la non-fiction — un comble, ici ! —, deux articles substantiels. D'abord, une entrevue en profondeur d'Ursula Le Guin, qui aurait pu bénéficier d'un brin de mise en forme (regrouper et resserrer les commentaires qui portent sur un même sujet, par exemple). Mais je reconnais bien volontiers que, dans mon jeune temps, j'ai commis bien des interviews passibles des mêmes reproches, voire pire ; et je suppose que si j'avais pour Le Guin l'admiration requise, toute parole de sa bouche serait pour moi précieuse. Après m'être enthousiasmé pour certains de ses romans, puis avoir été ennuyé par d'autres, je la tiens pour un auteur très doué, dont les textes toujours superbement écrits me perdent quand ils basculent dans le prêchi-prêcha. Et l'entretien, alors ? Il oscille entre l'ordinaire et le passionnant, mais il est toujours intelligent et ouvert.

Avec Serge Lehman, on change de style. "La Légende du processeur d'histoires" deviendra peut-être à Lehman ce que la fameuse conférence de Metz en 1976 est à Philip Dick : un grand moment de théorie littéraire gonzo, couplé à une sorte d'auto-analyse en public. Dick cherchait Dieu, Lehman veut définir le sense of wonder : chacun sa limite mystique. Même si je ne suis pas convaincu par la trop rapide évacuation de la rationalité (de façade) du discours S.-F., même si on peut regretter — mais je l'ai déjà fait dans l'éditorial de KWS nº 51 — l'absence de référence explicite à Delany quand on évoque la littéralisation de la métaphore, félicitons le Capitaine Ruaud d'être allé rééditer cet article paru seulement dans les trop confidentiels actes du colloque de Nice de mars 2005 sur la S.-F.

Le cœur de l'anthologie, ce sont les textes littéraires. Et comme d'habitude, il n'y a rien de mauvais. Éventuellement, des choses un peu légères, comme "Dans la contemplation" de Julien Bouvet (il est jeune, il écrira autre chose), "Incident au déjeuner des canotiers" d'Allen Steele (je suppose que si on est Parisien, et fan de l'impressionnisme, on sera plus sensible au texte), "Magie, marronniers et Maryanne" de Robert Sheckley (l'affection que l'on éprouve pour le grand disparu fera pardonner la minceur du propos, traité avec la patte du maître2) ou "Planet of sound" de Jim Dedieu & Laurent Queyssi3 (au menu : flying saucer rock'n'roll — les auteurs ne se gênant pas pour utiliser l'anglais dans leur texte, je ne vois pas pourquoi je me gênerais moi — mais un tel texte ne peut séduire par son intrigue, or le pastiche de journalisme rock qu'il pratique manque à mon avis de la justesse requise).

Ayant évoqué l'emploi de l'anglais par un duo d'auteurs francophones, je ne peux retenir un regret en ce qui concerne les textes traduits — par des mains diverses et sans doute débutantes —, sur lesquels flotte, à mes narines, un entêtant parfum d'anglais4. Ce à quoi, ami lecteur de KWS, tu seras prompt à répliquer que je ne me suis pas regardé, moi dont le français dégage un puissant remugle d'occitan en décomposition, et qui n'ai jamais pondu que des traductions bancales de l'anglais. Certes.

Alors, où est le vif du numéro ?

Deux textes courts qui jouent avec le temps sans se ranger vraiment dans la S.-F., "une Bonne affaire", uchronie humoristique d'Esther Friesner, et "Delhi" de Vandana Singh, histoire de contacts plutôt que de voyages à travers le temps, rafraîchissante par son exotisme.

Deux textes de S.-F. caractérisée, qui usent de façon très classique de l'irruption de la transcendance (la race étrangère a une technologie aux effets qu'on ne soupçonnait pas… vous voyez le tableau), "un Air gitan" de Mary Rosenblum et "Navices" d'Yves Meynard et Francine Pelletier. Aucun des deux ne m'a vraiment surpris, vieux singe que je suis, mais j'avouerai une préférence pour les Canadiens, au bénéfice du contenu émotionnel.

Enfin deux longs (et grands) textes de Fantastique, totalement américains : "Abandonné sur place" de Jerry Oltion, qui exprime par une histoire de fusée fantôme la nostalgie du programme spatial américain — et encore, il a été écrit avant la catastrophe de Colombus ! — ; dommage que la conclusion ne soit pas à la hauteur de l'accroche. Et le mythique "la Nuit où ils ont enterré Road Dog" de Jack Cady, qui vaut surtout par son évocation des villages paumés du Montana où collectionner les bagnoles est le seul passe-temps accessible à qui ne veut pas se noyer dans le bourbon ou les culs de vaches — mais là encore, question de goût personnel, quelque chose est irrémédiablement perdu quand on change la langue de l'original.

Faut-il encore ajouter que l'objet est beau, que la maquette fait l'objet de soins admirables — dont on aimerait voir l'équivalent au niveau de la correction orthographique —, que l'entreprise est sympathique et méritoire ? Non. Vous le saviez.

Notes

  1. Sujets sur lesquels il est d'ordinaire plus disert dans son fanzine A&A.
  2. Mais on râlera un peu, pour la forme, contre le parti-pris de préserver l'allitération du titre au total mépris de la botanique du marronnier qui, au contraire du maple [érable] de l'original, ne se pare pas à l'approche de l'automne de rouges flamboyants…
  3. Laurent Queyssi est aussi l'auteur de la nouvelle "Rebecca est revenue", qui constitue l'intégralité du tome III bis de Fiction, en fait un petit fascicule offert gratuitement aux abonnés. Une histoire de réalité virtuelle qui m'a mieux plu, finalement, que la nouvelle co-écrite qui apparaît dans le “vrai” numéro.
  4. Par exemple, dans le récit d'Oltion, l'emploi répété du mot "plume" là où le contexte suggère que l'anglais a dû utiliser plume, "panache [de fumée]" ; et plus largement la désagréable fréquence de la tournure verbe de mouvement + complément de lieu (type "il courut hors de la pièce") pour indiquer la manière d'un déplacement (qu'on dirait en français "il sortit de la pièce en courant"). Mais je crois que cette bataille-là est déjà perdue, et à vrai dire, ce n'est pas à moi qu'il revient de la livrer : je la laisse aux gens qui ont des raisons familiales et historiques de considérer le français comme leur langue.