Manel Zabala : Rates

Il fallait bien qu'un jour un Catalan rendît hommage à Orwell. En empruntant plus, d'ailleurs, à 1984 qu'à la Ferme des animaux1.

Le 19 mai 1960, un groupe de catalanistes remuants se fait remarquer — et arrêter — en chantant au Palau de la Música els Segadors, actuel hymne de la Catalogne mais alors sévèrement interdit par le régime franquiste. Jordi Pujol, fils de bonne bourgeoisie, y lancera la carrière politique que l'on sait2 (après quelques années de prison). G. Mora, chanteur influençable et héros anonyme du présent récit, n'y récolte que des séances de passage à tabac dans les entrailles d'un commissariat.

Le Fantastique se présente sous les traits d'une rate, qui prétend d'abord jouer les petites souris en ramassant les dents délogées par directs d'un inspecteur zélé, puis emporte G. Mora dans des voyages astraux de plus en plus aventureux : dans les coulisses de Barcelone, dans l'avenir, et finalement dans tous les destins possibles de G. Mora — s'il accepte de dénoncer quelqu'un à la police pour sauver sa vie. Avec ici une autre référence explicite, celle au "Conte de Noël" de Charles Dickens.

Mais G. Mora n'est pas un révolutionnaire, ne comprend pas grand-chose à la politique, ne connaît personne, et n'a d'autre ambition que d'être en paix avec sa conscience de chrétien. Et la rate, mauvaise conscience ou démon tentateur, a bien du mal à se faire écouter.

L'argument fantastique a beau être mince, le livre, avec son humour noir, ses trouvailles, son langage dru, ses fureurs et ses paradoxes, se lit d'un trait — à condition de savoir un peu de catalan. Zabala commence à récolter les prix littéraires (ce long récit a obtenu le Premi Fundació Enciclopèdia Catalana 2003), et est arrivé à une réjouissante maturité3 littéraire.