Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007
Wayne Barrow : Bloodsilver
roman fantastique
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1691, un navire transportant d'étranges colons venus d'Europe s'échoue sur les côtes nord-américaines. Contraints à l'exil, ils vont commencer leur propre conquête de l'Ouest américain en semant la mort sur leur chemin. Car ce ne sont pas des êtres humains qui débarquent ainsi sur les traces des pèlerins du Mayflower, il s'agit de Broucolaques, de Stryges, de Lamies, de Brookes, bref, en un mot comme en cent, de Vampires ! Persécutés à cause de leur nature de prédateurs, ils cherchent sur les terres encore quasiment vierges des Amériques, le havre de paix qu'on leur refuse sur le vieux continent.
Les seize chapitres de Bloodsilver permettent à Wayne Barrow1 de revisiter les moments-clé de la conquête de l'Ouest en y intégrant, avec plus ou moins d'efficacité, le peuple des vampires. Cette construction chronologique entraîne le lecteur à la redécouverte des balbutiements de la nation américaine, à la fin du xviie siècle, jusqu'à l'aube du xxe siècle, lorsque les soldats américains débarquent en France pour aider à mettre un terme à la Première guerre mondiale qui embrase la vieille Europe. Balayant presque trois siècles d'histoire en moins de quatre cents pages, Barrow ne retient bien évidemment que quelques dates-clé à travers des figures célèbres de la grande et de la petite histoire américaine. Cela donne au final une construction littéraire qui ressemble plus à un recueil de nouvelles qu'à un roman, mais qui n'est en rien désagréable.
Au fil des pages, le lecteur croise ainsi quelques visages connus de la conquête de l'Ouest, dont la plupart ont été immortalisés au cinéma par le biais des innombrables westerns produits par le Hollywood de la grande époque. Billy the Kid, les frères Earp, Doc Holliday et les frères Dalton apparaissent ici dans le double rôle de pistoleros et de chasseurs de vampires. Ils traquent les Brookes pour les tuer à l'aide de leurs colts et de leurs winchesters chargés de balles d'argent, mais ils sont aussi des gibiers de choix pour les formidables prédateurs que sont les vampires et pour leurs alliés humains de plus en plus nombreux. Au cœur de cette galerie de célébrités, l'un des personnages les plus intéressants de Bloodsilver est très certainement celui du journaliste et romancier Sam Clemens, plus connu sous le pseudonyme de Mark Twain2. Ce dernier est également l'un des rares à apparaître plus d'une fois dans ce livre, ce qui permet de suivre l'intéressante évolution de ses sentiments vis-à-vis des Brookes.
Avec de tels héros, les différents textes qui composent Bloodsilver sont forcément captivants, même s'ils se révèlent de qualités inégales. Ce qui en soit n'est pas gênant, mais donne parfois, à la lecture, l'impression de se trouver sur des montagnes russes. Il y a en effet des ruptures de styles surprenantes qui font ainsi passer d'un récit plein d'intensité comme "1857 – Nuit de sang"3 à la froide biographie d'Oliver Fisher Winchester dans "1866 – Un héros américain". De même la quasi-absence de vampires dans "1890 – Wounded Knee" fait que ce texte se démarque un peu trop des autres histoires de Bloodsilver, laissant un peu trop les considérations historiques et politiques prendre le pas sur le fantastique. Au-delà de ces quelques réserves de pure forme, qui correspondent peut-être à un choix délibéré de l'auteur, Bloodsilver est un livre passionnant qui parvient à fusionner les genres Western et Fantastique tout en conservant les éléments les plus intéressants de chacun d'eux. La chose n'est certes pas évidente, même si des auteurs tels que Joe R. Lansdale (Dead in the West) ou Nancy A. Collins (Dead man's hand: five tales of the weird West) s'y sont déjà essayés, permettant ainsi à des morts-vivants ou à des vampires d'envahir les plaines de l'Ouest4.
Dans les pages de Bloodsilver, Wayne Barrow réussit donc de multiples mélanges. Il associe le Western le plus classique au Fantastique le plus mordant, mais surtout il parvient à fusionner l'épopée de la conquête de l'Ouest, rêvée sur les écrans en cinémascope d'Hollywood, à la courte mais intense histoire des États-Unis d'Amérique au sein d'une pure fiction. Documenté et imaginatif, Barrow réécrit les chroniques d'une Amérique où les vampires n'ont pas forcément le plus mauvais rôle.
Notes
- L'internet est le moyen idéal pour en savoir plus sur Wayne Barrow, puisqu'on peut y lire un entretien réalisé par l'équipe d'ActuSF et découvrir le secret de sa véritable identité sur le site nooSFere.↑
- Le personnage de Sam Clemens/Mark Twain a déjà été utilisé dans des œuvres de fiction. Il est, notamment, l'un des héros de la saga du Monde du fleuve écrite par Philip José Farmer entre 1971 et 1983.↑
- Cette “Nuit de sang” fait référence à la légende urbaine d'El Chupacabra relativement récente et popularisée sous nos contrées par un épisode de la série télévisée the X-files.↑
- Le mélange Fantastique/Western a aussi donné d'étranges résultats au cinéma avec d'improbables rencontres telles que Billy the Kid vs. Dracula ou Jesse James meets Frankenstein's daughter, deux films réalisés en 1956 par William Beaudine, un maître de la série B. Il y a aussi ces cowboys faisant face aux dinosaures de la Vallée de Gwangi, une production Ray Harryhausen, en 1969. Côté télévision, il est obligé de citer la série les Mystères de l'Ouest qui, entre 1965 et 1969, utilisa le mélange de plusieurs genres sur une base Western pour créer un spectacle innovant et divertissant. Quant à la bande dessinée, elle ne néglige nullement la rencontre Western/Fantastique que ce soit aux États-Unis avec des séries de comic books telles que Weird western tales ou les aventures de Jonah Hex publiées par DC Comics, ou en France avec, notamment, les trois volumes de Dead hunter écrits et dessinés par Franck Tacito.↑