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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 57 le Goût de l'immortalité

Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007

Catherine Dufour : le Goût de l'immortalité

roman de Science-Fiction

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chronique par Pascal J. Thomas

Nous arrivons un peu tard pour parler de ce livre — même au regard des critères notoirement flous de KWS en la matière. Mais il a su se maintenir dans l'actualité en 2006, se gaussant de la multiplicité des récompenses offertes à des livres de S.-F. français en raflant les prix (prix Rosny aîné et Grand Prix de l'Imaginaire dans la foulée1).

Le livre est raconté par une Chinoise ni jeune ni vieille, qui vit à Ha Rebin2 dans un de ces immeubles démesurés qui abritent la plus grande part de l'Humanité. Sauf les rebuts bannis dans les sous-sols, livrés à toutes sortes de pollutions… La narratrice replonge dans son adolescence et nous donne trois récits : celui de sa vie avec sa mère (tragique en dépit, et peut-être à cause, de l'amour que celle-ci lui voue) ; les mésaventures en Polynésie de Cmatic et Shi, deux biologistes qui font face à une espèce de moustique génétiquement modifiée pour en faire une arme mortelle ; et la geste extraordinaire et terrifiante de Cheng et Nakamura, qui par amour arrivent à déjouer les plans de Path, maître cruel et tout-puissant des bas-fonds. Les trois histoires sont liées. Comment, il vaut mieux vous le laisser découvrir : le sel de l'intrigue est à ce prix. Prises isolément, les trois histoires manqueraient de souffle. Cousues comme elles le sont, elles le coupent. Une écriture à la Tarantino.

Le plus remarquable dans le livre est l'écriture. Que Dufour soit un auteur, un auteur à la voix unique, on n'en doute plus depuis belle lurette. Le récit est sans cesse empreint d'amertume. Autant pour la situation faite au monde par les multinationales qui l'écrasent que pour les relations entre les personnages. L'amertume s'immisce au sein de chaque phrase, dans le choix des mots — ou plutôt de leurs associations. L'oxymore revient sans cesse. Deux exemples pris au hasard, page 33 : « mon insupportable cadeau » ; « Pourquoi ai-je pleuré […] ? Parce que je l'aimais ». Le livre est en marqué. La passion de l'inversion s'étend jusqu'à la typographie, qui prend le parti de priver de majuscules tous les noms propres, et d'en doter les noms d'espèces animales et végétales. Manière de vilipender la mainmise de l'homme sur la planète.

Je ne peux éviter une question existentielle : ce livre est-il de la S.-F., ou du moins, l'est-il suffisamment pour mériter les votes du prix du Lundi, qui s'annonce comme « spécifique à la Science-Fiction de langue française » ? Après tout, les événements centraux du livre reposent sur le vaudou, et sur la création de zombies par la sorcellerie. On peut contourner la difficulté. Rappelez-vous Je suis une légende, de Matheson : les vampires existent bien tel que les décrit la tradition, mais ils sont traités comme un phénomène naturel que la science n'avait pas eu l'occasion de découvrir. Difficile, toutefois, de lire ainsi le Goût de l'immortalité, qui me semble plutôt relever d'une Fantasy située dans le futur, et axée sur l'extrapolation socio-politique plus que sur l'aspect magique du monde.

Alors ? S.-F. quand même ? Ou tout simplement ouvrage contemporain qui a décidé d'emprunter ses codes à diverses traditions. Le livre est suffisamment écorché vif pour ne pas s'inquiéter de l'alliance des contraires : il s'y complaît, nous l'avons vu. Et son leitmotiv n'est pas l'amour de la vie ; l'immortalité que connaît sa narratrice, c'est la mort. Un roman qui vous plonge dans son monde, donc. Et qui vous fait admirer le vôtre, une fois que vous aurez émergé. Mais pourquoi je continue à parler, moi ? Si vous n'avez pas déjà lu l'ouvrage, je sais que vous avez déjà interrompu votre lecture de mon article pour dévorer le Dufour.

Notes

  1. Ainsi que le prix du Lundi, récemment créé pour « marquer une rupture avec l'amalgame et la confusion des genres qui semblent de mise aujourd'hui ».
  2. Ville de Mandchourie plus communément orthographiée Harbin dans la presse que je lis.