Keep Watching the Skies! nº 59, janvier 2008
Robert Silverberg : l'Oreille interne
(Dying inside)
roman de Science-Fiction
Est-ce de la S.-F. ? Non, si celle-ci doit explorer les conséquences d'une (ou plusieurs) hypothèse(s) sur le monde, sur la société. Ici, il s'agit d'un individu, et de lui seul, même s'il apprend qu'il n'est pas tout à fait unique dans son genre. D'un télépathe. Loin de tout phantasme de puissance à vocation consolatoire : un raté pour tout dire. Vivotant en rédigeant des dissertations pour des étudiants peu doués ou trop occupés. N'exploitant pas son pouvoir. Commençant d'ailleurs à le perdre, petit à petit. Ce qu'il vit aussi mal qu'il vivait sa télépathie. D'où un splendide portrait de névrosé, qui dans un tout autre registre fera peut-être penser à Woody Allen ne serait-ce que parce que le narrateur, comme ce dernier, est juif new-yorkais. L'enfance, l'adolescence indéfiniment prolongée, la famille, une sœur avec laquelle les liens se renouent, une vie affective et sexuelle tristounette. Et l'Amérique des années 1950-1970. Kennedy, les débuts de la conquête de l'espace, le LSD (tristounet lui aussi), des balbutiements de new age, des tensions ethniques mises en scène d'une façon qui n'a rien de politiquement correct : un monde peu satisfaisant mais dont l'on n'en finit pas d'avoir la nostalgie depuis que la crise est passée par là, suivie par quelques angoisses carabinées, et que l'avenir n'est plus ce qu'il était.
D'où un grand livre. Qui n'est peut-être pas de la S.-F. Qui se situe peut-être à la frontière entre celle-ci et le Fantastique (juste de l'autre côté de cette frontière, il y aurait peut-être le Horla de Maupassant, si celui-ci n'était pas si intemporel). Mais qui traite et retourne un thème majeur, fait vivre un personnage pitoyable et attachant, et peint un lieu et une époque. Ce qui devrait réconcilier amateurs de S.-F. et tenants de la littérature générale, s'il y avait une justice.
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