Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008
Fabrice Bourland : les Portes du sommeil
roman de Fantasy
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Le steampunk exotique, victorien, c'est bien, mais ce n'est pas forcément aussi ancré dans les cultures personnelles qu'on voudrait le croire. Pour ce deuxième volume, et après nombre d'enquêtes supposées publiées en leur temps, conformément à une ficelle assez classique lorsqu'il s'agit de créer un effet de réel, le héros-narrateur supposé canadien de Fabrice Bourland quitte donc Londres, et se retrouve à Paris, en vacances, ce qui ne saurait durer (situation d'un classicisme imparable), entre intérêt personnel pour la mort de Gérard de Nerval et contacts avec nos chaussettes à clous nationales, un peu tourneboulées par le 6 février 1934 et par l'assassinat d'Alexandre de Yougoslavie et du ministre des Affaires étrangères Louis Barthou. Tourneboulées aussi, ce qui relève davantage de sa spécialité, par des morts : morts de peur en plein sommeil, morts qui dans leur état antérieur s'intéressaient de près au monde des rêves, entre science, sciences occultes et expérimentation surréaliste, et morts qui ont une déplorable tendance à se multiplier. Lui-même a été incité à noter ses rêves au réveil, avant qu'ils ne s'évanouissent dans l'oubli. On ajoutera un journaliste consciemment renouvelé de Rouletabille, une référence cinématographique, cette fois-ci à un chef-d’œuvre de l'expressionnisme allemand, un Autrichien mystérieux, la littérature sur les rêves dirigés, la tradition concernant les incubes et les succubes, André Breton et les surréalistes, l'alter ego bostonien du Canadien (faiblesse du récit, leurs rôles respectifs sont assez peu définis), l'Orient-Express pris à tout hasard, J.K. Huysmans en plus de Nerval, une barbe postiche mais remarquablement bien arrimée à la peau de son porteur, la Vienne de Freud mais aussi des délires ayant préparé le nazisme, et du chancelier Dolfuss, plus la réalité des “peuples éthérés” (on retrouve Nerval), plus un château des bords du Danube et une fantasmagorie renouvelée des haras humains (on retrouve les nazis) mais dans une version fantastique intégrant les incubes et succubes plus haut évoqués, plus, pour finir — rassurez-vous —, une intervention policière internationale, façon cavalerie américaine arrivant à point nommé.
On le voit, le folklore s'est fait plus continental. Le Fantastique classique, incubes et succubes une fois de plus, peut être révoqué en doute, mais si l'on en croit T. Todorov c'est la règle du jeu de tout texte relevant de ce genre. Reste tout de même la possibilité de s'introduire dans les rêves d'autrui, en l'occurrence pour y commettre de dégâts mortels : on est bien dans une littérature non-mimétique — ou du moins y a-t-il lieu de le souhaiter. Les références moins convenues, sans doute aussi mieux maîtrisées, permettent sans doute une amélioration par rapport au premier volume. L'histoire elle-même semble moins téléphonée. Cela fonctionne. Il y a bien pire pour passer du temps dans les transports en commun… On peut donc attendre la suite, et espérer une amélioration continue.
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