KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Iain M. Banks : Trames

(Matter, 2008)

roman de Science-Fiction dans l'univers de la Culture

chronique par Noé Gaillard, 2009

par ailleurs :

Comme on ne peut vous raconter la trame dramatique de l'histoire sans faire perdre au roman un tiers de son intérêt, on va encore une fois revenir sur la quatrième de couverture, pour en relever une demi-phrase qui à elle seule doit suffire à faire acheter le volume.

« Une histoire aux accents shakespeariens […] » — j'ajouterai “modernes” et “revus par Kenneth Branagh”.(1) Shakespearien parce que les traces de Hamlet, du Roi Lear et de la Tempête sont manifestes (père, roi assassiné, fille vengeuse, fils incertain, conjuration générale et serviteurs intelligents) sans pour autant impliquer directement la référence à Shakespeare. Cela représente pour moi une des clés, sinon la clé, du roman. Les personnages de Science-Fiction (vivant en principe en un temps lointain) ayant des comportements shakespeariens proposent une certitude : les caractères humains semblent immuables dans le monde de la Culture, et ce quelle que soit l'époque où ils vivent. Ce qui change, ce qui donne l'impression de faire évoluer, c'est l'environnement technologique — exemple contemporain : avec les 4 CV ou les 2 CV, pas besoin de limitateur de vitesse, avec quelques modèles actuels, si ; et nous voulons toujours aller plus vite. Ici, nous passons de l'épée à la bombe antimatière, de livres réservés à une élite à une combinaison de vol (dans le vide) avec I.A…

Si ma mémoire est bonne, les personnages de Shakespeare ont des caractères entiers, issus de leur éducation et de leur confort. Ici, les trois enfants royaux n'ont pas reçu la même éducation. Le dernier-né est en cours de formation quand survient le drame ; sa sœur a été éduquée par la Culture ; le cadet a subi une éducation de prince pour être diplomate ; l'aîné, qui devait devenir roi, est mort au combat — et ils sont tous accompagnés de serviteurs en fonction de leur âge ou de leurs connaissances. Le cadet est suivi par un mélange de Scapin et de Sganarelle, sa sœur par un drone offensif non dépourvu d'humour, et le dernier par des jeunes un peu naïfs. Et l'on peut constater qu'à part pour la sœur et le dernier-né, c'est le valet du cadet qui profite le plus des aventures vécues. Il apprend et apprend à se servir de ce qu'il a appris (grâce un peu à la Culture) ; de plus, il est capable de philosopher (petite digression sur le pauvre et le riche) de manière agréable. Au cas où vous vous demanderiez où j'ai bien pu voir une référence à la Tempête, je vous renverrais au rôle joué ici par la Culture (il me rappelle : « Si nous ne maîtrisons pas ce qui se passe, feignons d'en être… » — citation approximative).

Chez Shakespeare, une partie du drame vient de l'antagonisme entre les personnages. Banks joue bien sûr à petites touches des antagonismes individuels, mais à l'instar d'Homère qui fait intervenir les rivalités divines dans la guerre de Troie, il ajoute les antagonismes des Civilisations qui peuplent la galaxie en leur prêtant un “chauvinisme” plus qu'exacerbé et la ruse des technologiquement avancés. Banks doit en effet “justifier” l'immensité de l'univers dans lequel il nous promène. Il est déjà effrayant en soi, comme dirait Pascal (Blaise), mais ce n'est plus son silence qui fait peur mais l'effroyable vacarme qui s'en dégage (le concert des nations ?).

Pour ce qui est de la suite, je me dois de changer de référence et de lorgner du côté de la sociologie. Celle qui étudie les rapports entre les gens, les familles, les ethnies, les nations, les États et qui aide sans aucun doute Banks à faire passer le lecteur du niveau individu/personnage au niveau population/personnage.

Si je ne me suis pas trompé, je dois être retombé sur mes pieds pour dire enfin que Banks nous présente la Culture dans un milieu en quatre dimensions : le temps, l'espace, l'individu, la masse, tout en ajoutant la dimension technologique. Du Grand Art comme en témoigne le supplément d'âme proposé en “annexe” où il explique — à mon avis avec un humour très British — le fonctionnement de la Culture (gardez-le vraiment pour la fin).

J'espère que vous éprouverez autant de plaisir que moi à lire ce grand roman.


  1. On notera, à ce propos, la présence d'un générique final avant l'“épilogue”.

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