Ray Bradbury : Léviathan 99
(the Cat's pajamas & Now and forever, 2004 & 2007)
nouvelles fantastiques et de Science-Fiction
- par ailleurs :
Depuis longtemps, je n'avais point lu du Bradbury ; pourtant, à la lecture de ce recueil qui mêle le récent à l'ancien, j'ai eu l'impression de l'avoir quitté hier, ou de retrouver un vieil ami martien. L'agréable petite musique de Fahrenheit 451 traînait encore dans mon oreille.
Fruit de la fusion de deux recueils, le Pyjama du chat et Maintenant et à jamais, Léviathan 99 est, comme l'indique une petite note en début de volume, une pure création française que Bradbury a validée en signalant lui-même la présence de deux nouvelles portant en américain le même titre, "Chrysalis", respectivement traduit ici par "le Jeune homme et la mer" (2004) et "la Chrysalide" (1946, qui sert d'intermède entre les deux parties). Pour dissemblables qu'elles soient — au moins par leur longueur —, on peut les rapprocher dans la mesure où leur conclusion présente des hommes nouveaux comme éclos d'une chrysalide.
Les nouvelles du Pyjama du chat ne relèvent pas toutes de la SF, mais elles se laissent lire même par l'amateur le plus intransigeant (du moins j'espère, sinon c'est peut-être à désespérer) et l'on constatera que certaines sont étrangement intemporelles… Une préface explicative des conditions d'écriture semble dire que ces textes sont nés par hasard, au hasard, alors qu'il est clair qu'ils ont été longtemps portés et mûris en interne. Ce ne sont que des fruits… nés d'une lente maturation. Attention, ces remarques de l'auteur ne valent que pour la première partie, ce Pyjama du chat qui comporte vingt et une nouvelles, dont dix rédigées et publiées entre 1946 et 1952, deux datées de 1980 et 1996, et neuf pour 2003-04, ce qui, au niveau du mélange de l'ancien et du contemporain, donne un recueil assez équilibré. Pour ce qui est de Maintenant et à jamais, à part des nécessités éditoriales, je n'ai pas trouvé de lien entre les deux textes qui le composent. À moins de vouloir prouver encore la polyvalence de l'auteur, qui manipule avec un égal talent l'écriture poétique et celle de l'aventure à connotation philosophique.
Que dire de l'ensemble ? Au moins deux choses. La première est une évidence pour qui prend le recueil en main et l'ouvre au hasard : quelle que soit la date d'écriture du texte, son âge n'est absolument pas visible (excepté peut-être pour "Route 66", selon l'explication fournie par Bradbury). La deuxième est plus nette tout en étant aussi subjective ; elle prend naissance à la lecture de "la Bétonnière à Mafiosi" et se conforte — si l'on peut dire — avec "Nous ferons comme si de rien n'était" et "l'Orient-Express de l'Éternité". Je veux parler de la dette manifeste que Bradbury se reconnaît à l'égard de F. Scott Fitzgerald.(1) Cette lecture et cet auteur m'ont renvoyé à un autre grand écrivain, Berthold Brecht (un homme de théâtre, certes, mais n'est-ce pas aussi ce qu'est Bradbury ?). Un auteur qui est — sauf erreur de ma part — l'inventeur de la fameuse “distanciation”, celle qui permet à l'acteur de jouer sans s'impliquer, qui permet ainsi de mieux montrer. Ni Fitzgerald, ni Bradbury ne s'impliquent dans ce qu'ils écrivent. Bradbury utilise un style poétique ("Quelque part joue une fanfare" en est ici le plus brillant exemple et force le lecteur à entrer dans son texte, à être convaincu, séduit par l'idée que porte le récit). "Léviathan 99" en est pour moi la preuve éclatante ; tout le monde ou presque connaît l'histoire d'Ismaël, et pourtant on se laisse emporter par cette version, comme si de rien n'était.
Encore une petite chose à remarquer, une petite majorité de textes évoquent les rapports de couple. Du plus insidieusement violent, "Mort d'un homme prudent", à "Mais où est mon chapeau ?". Ces textes sont subtils, c'est dire, pour moi, combien ils sont distanciés.
Dernière remarque générale, je parlais plus haut de la petite musique de Fahrenheit. Dans un texte présenté ici et daté de 1980, Bradbury évoque la musique-souvenir. Celle qui traduit un certain état collectif… Celle qui renvoie au film d'Alain Resnais, On connaît la chanson, et qui nous redonne, bien longtemps après, quelques émotions-souvenirs agréables… Il s'agit d'un texte qui lui est purement personnel — nous ne partagions pas les situations qu'il rappelle — et pourtant, si nous connaissons la ou les chansons dont il parle, elles évoquent aussi quelque chose pour nous ("Singin' in the rain", "Yes, we have no bananas", "Yes, sir, that's my baby", etc.), même si elles datent des années trente et renvoient plus à Gershwin qu'à Prince.
Cette fois, c'est la dernière remarque : en introduction à "Léviathan 99", Bradbury écrit : « Ce texte méritait-il de réapparaître dans cette version ? »
, et il nous laisse (⁉) le pseudo-choix d'en décider.
Pour moi, la réponse est : « Oui ! ». Cette version SF de l'idée de Melville où la Baleine blanche du capitaine Achab devient une comète est une grande réussite. Tout au long de sa lecture, je n'ai cessé de voir les images du film de John Huston (Bradbury a participé à l'écriture du scénario) sans perdre pour autant les images SF. La superposition des deux supports renforce l'idée de Melville. Et j'avoue que la vision imaginaire de deux Ismaël (Michael Redgrave) est très impressionnante.
Laissez-vous embarquer pour les trésors de ces îles ! L'équipage du capitaine Bradbury est digne de votre confiance…
- Remarque personnelle : la lecture de ce recueil m'a incité à (re)lire du Fitzgerald, un recueil posthume de ses nouvelles concernant son personnage de scénariste hollywoodien, Histoires de Pat Hobby.↑
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