Sheila Williams : Asimov's science fiction, July 2010
revue américaine de Science-Fiction et de Fantasy sans édition francophone
- par ailleurs :
Si KWS n'est pas connu pour son suivi méticuleux de l'actualité, il ne me déplaît pas à l'occasion de jeter un coup de périscope sur l'état de la SF américaine du moment. À titre d'échantillon, prenons un numéro de ce qui reste la revue la plus prospère du genre.
Première remarque : grand classicisme dans la présentation. On commence par un éditorial qui célèbre les succès de la SF, on termine par une page de listes de conventions (toujours assurée par la même personne depuis les débuts de la revue dans les années 1970 !), et les textes sont classés en nouvelles (short stories), novelettes et novellas, selon leur longueur.
Un point de vue répandu à une époque (je l'ai entendu épousé par James Gunn, si je me souviens bien) était que la novelette, récit un peu plus long que la nouvelle classique, incarnait la longueur idéale pour la SF : cela reste un texte court, qui se concentre sur le ou les concepts présentés (plutôt que sur la vie entière d'un personnage, disons), mais on a sur trente pages la place d'expliquer les choses, de donner un arrière-plan, d'étoffer par l'explication apparemment rationnelle l'étonnement responsable de l'attrait initial. Ce numéro d'Asimov's présente deux novelettes, et je suis au regret de rapporter que ce sont les textes les plus ennuyeux (les plus classiques ?) de ce numéro. On dirait que ces textes compétents ont été, grâce aux quelques pages de plus, surchargés de bagarres, et autres péripéties pour le plaisir de la péripétie. "The Jaguar house, in shadow", d'Aliette de Bodard, pourrait difficilement se passer d'action violente, située qu'elle est dans le milieu des guerriers de la société aztèque (moderne) postulée par l'uchronie dans laquelle l'auteure situe l'essentiel de sa production. La motivation profonde du texte m'échappe, mais il prend peut-être son sens à la lecture des autres composantes du cycle. "Haggle chips", de Tom Purdom, est curieusement construit : les péripéties de l'action y sont entrecoupées par des paragraphes de description de l'arrière-plan (une société axée sur le commerce, où des comportements comme le kidnapping donnent lieu à négociation plus qu'à répression). Il y a quelque chose des théories libertariennes, ou du retour au Moyen-Âge, dans ce brigandage poli. Malheureusement, le côté heurté de l'exposition sent plus la maladresse que l'avant-gardisme.
Les nouvelles sont sauvées par l'humour, ou l'émotion. "Amelia Pillar's etiquette for the space traveler", de Kristine Kathryn Rusch, nous tire un sourire en coin avec son bref guide des consignes de sécurité pour passagers de vaisseau interstellaire (mais avouons que ce genre de choses a déjà été fait il y a quarante ans, et plutôt mieux). D. T. Mitenko, par contre, nous présente avec "Eddie's ants" les tentatives de son protagoniste pour assassiner l'extraterrestre qui lui a piqué sa petite amie avec un humour dévastateur (et pas mal d'originalité dans l'invention de situations). Alice Sola Kim, dans "the Other graces", pratique un registre bien différent : le texte est situé dans un futur proche qui pourrait être notre présent, et suit avec un point de vue à la fois objectif et subjectif (on apprendra pourquoi) les affres d'une adolescente américano-coréenne, qui se désole de ne pas être aussi intelligente et aussi mignonne que l'image qu'on peut avoir des jeunes Asiatiques. On sent le vécu, on éprouve la tristesse, il y a une pointe d'élément scientifictif, bien entendu, mais le texte menace toujours de ne se réduire qu'à une description réaliste, peut-être autobiographique, et néanmoins excellente. Une auteure à suivre, mais on aimerait la SF (et le nez) en plus.
En dernier dans la pagination, en grosses lettres sur la couverture, une novella de Robert Reed qui est effectivement un mini-roman (avec le même thème, bien des tâcherons auraient pondu une trilogie), "a History of terraforming". Tout au long de la vie de son protagoniste, Simon, nous parcourons le Système solaire, au gré des tentatives de l'Humanité de s'aménager de nouveaux biotopes. Dans bien des ouvrages, cette entreprise est traitée sur un mode triomphaliste, ou tout au moins exaltant (voir Kim Stanley Robinson, qui tout écologiste qu'il soit, et bien qu'il mette en scène un groupe de préservateurs de la planète, a bâti une de ses œuvres les plus connues sur l'épopée de la terraformation de Mars). Ici, la terraformation connaît autant d'échecs que de succès, qu'ils soient symptômes d'une insuffisance technique ou conséquences des dissensions violentes de la société humaine. J'ai toujours un problème avec Robert Reed, dont je trouve les textes bien faits, mais profondément déprimants — son protagoniste est ici décrit, par exemple, comme “a quiet disappointment of a soul”
(p. 90), ce que je trouve assez représentatif. Mais je dois aussi dire que les instantanés de sa vie (longue de plusieurs siècles) que nous montre l'auteur sont autant de petites nouvelles redoutables d'efficacité, et qui en fin de compte bâtissent un tout plus grand que la somme de ses parties, et révèlent du tranquille Simon un portrait beaucoup plus complexe qu'au prime abord. Bravo donc, pour ce texte qui mérite à tout point de vue sa mise en exergue.
Je n'ai pas fini de faire le tour des rubriques mais, comme les autres revues américaines de SF, Asimov's n'en compte guère ; on trouvera dans ce numéro deux poèmes, une chronique de Robert Silverberg (qui prit il y a bien des années la succession d'Asimov lui-même), et un article sur les livres de Paul Di Filippo, qui se distingue par des choix de sujets originaux, et des avis pénétrants et très bien écrits.
Asimov's est devenu un peu cher, mais reste une affaire pour les affamés de SF en mode court. Avec le risque que l'on doive accepter de rencontrer au cours des mois des textes de plus ou moins haut niveau dans les pages de la revue.
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