Ursula K. Le Guin : Dons (Chronique des rivages de l'Ouest – 1)
Ursula K. Le Guin : Voix (Chronique des rivages de l'Ouest – 2)
(Gifts & Voices, 2004 & 2006)
romans de Fantasy pour la jeunesse
Sur les rivages de l'Ouest dans les collines des Entre-Terres — c'est-à-dire là où vit un peuple de sorciers jaloux de leurs pouvoirs —, certains peuvent allumer un feu, convoquer un animal ou guérir une plaie, pendant que d'autres peuvent tuer, asservir ou mutiler. Dons raconte l'enfance d'Orrec qui, en principe, a le pouvoir de détruire du regard. Orrec hérite très tardivement de son don, et encore ne le manifeste-t-il qu'en présence de son père (le don est héréditaire de père en fils, à condition d'épouser une femme de famille “douée”). Comme on le soupçonne d'avoir le même don sauvage que son grand-père — qui tua sa femme et devint fou —, son père décide de l'aveugler pour éviter qu'il ne tue par mégarde. Heureusement, Orrec peut partager ses doutes et ses interrogations avec son amie Gry, qui peut appeler les animaux. Pour ne pas atténuer le pouvoir de son père avec son don inutile et dangereux, le jeune couple choisit de descendre vers la vallée. Il suit aussi en cela les conseils du jeune exilé qui s'est un temps arrêté sur les collines avant de repartir. C'est ainsi en ados avertis que Gry et Orrec accompagnés d'une vache d'argent (blanche) partent vers la ville de Dunet. La ville d'où vient la mère d'Orrec, qui ne possède pas le moindre don.
Avec Voix, nous sommes dans l'Ansul, presque à la limite sud des rivages de l'Ouest. La ville est occupée par les Alds à la peau pâle. Leur Dieu est servi par des prêtres qui détruisent tous les livres qu'ils trouvent, et ils sont venus pour tenter de détruire la bibliothèque locale, une des plus importantes connues. Avant l'invasion, le pays vivait de commerce en bonne démocratie et en suivant les oracles que seul savait lire le passemestre. Issue du viol de sa mère Décalo par un envahisseur, Némar est une jeune fille qui sait tracer dans l'espace les lettres qui permettent d'ouvrir la porte de la bibliothèque secrète où sont cachés tous les livres qui ont été sauvés. Y débouche aussi une grotte repaire de l'oracle. Orrec est devenu conteur (ou parleur) et charme aussi bien avec ses propres textes que ceux qu'il n'a entendus qu'une seule fois. Gry a dompté un tigre et sait toujours maîtriser les animaux. Grâce à son talent de conteur et aux textes qu'il choisit, Orrec séduit le chef des Alds. Le roi des Alds meurt et son successeur est moins religieux. Les habitants de la ville se révoltent et Orrec et le passemestre parviennent à calmer le jeu. Tout s'arrange et les livres vont pouvoir circuler de nouveau.
Difficile, à mon avis, de ne pas aimer Ursula K. Le Guin. Pourquoi ? Parce qu'elle n'impose rien. Elle n'assène pas un point de vue que l'on peut refuser. Si elle impose quelque chose, c'est, à mon sens, des évidences… Tout cela parce qu'elle a placé ses personnages dans un monde particulier qui les contraint à un comportement précis. Ainsi, lorsque l'on lit Le Guin, c'est à son monde qu'il faut faire d'abord attention (certains de ses titres appuient mon idée : le Nom du monde est forêt, l'Anniversaire du monde, Terremer, Contes de Terremer, quand ce n'est pas le fond du roman : les Dépossédés). Le Guin tisse des mondes pour y jeter des personnages différents et observer quelles étincelles cela produit. Elle nous donne ainsi à apprécier notre monde — et son fonctionnement — et à y mesurer les différences. Bien sûr, c'est elle qui induit et choisit les éléments de sa démonstration, mais le résultat de son équation, c'est nous qui le déduisons. Ici, elle nous propose d'intégrer un comportement individuel au comportement collectif. Comment puis-je être utile aux autres sans me renier ? Même si vous n'êtes pas d'accord avec le comportement d'Orrec et de Gry, vous ne pouvez nier qu'il est logique dans leur monde et que se poser la question est une bonne démarche.
Plus complexe et plus dense que Dons, Voix répète les théories et les espoirs de son auteur. Dit la force du mot entendu ou lu. Du mot qui fait rêver, qui apaise ou qui donne force et courage. La force des histoires inventées ou retranscrites. La puissance du verbe ici opposé à la croyance en un seul dieu et serviteur d'une multiplicité de dieux domestiques.
Le Guin est souvent récompensée par des prix littéraires (Dons a reçu le PEN/USA Award en 2005). C'est, je crois, parce qu'en plus des mondes, elle sait créer des personnages humains avec doutes et peurs, tributaires de leur environnement (paysage, climat, société, famille, croyances, histoire). C'est cette empathie qu'elle parvient à instaurer entre nous/lecteurs et ses personnages qui la rend si passionnante — imaginez de plus que nous ne lisons pas le texte original, mais une traduction due à Mikael Cabon. Elle réussit à nous faire entendre les voix de Gry et de Némar. Sans doute parce qu'il s'agit de femmes qui parlent en son nom à diverses étapes de la vie, et les autres personnages féminins — moins présents — ont la même densité qui force l'attention. Les hommes sont plus des “fonctions” parce qu'ils sont présentés et vus à travers les yeux de Némar qui porte bien ses dix-sept ans…
En quatrième de couverture, on trouve la mention « Pour tous lecteurs à partir de 14 ans. », et il est dommage de devoir attendre le printemps 2011 pour lire Pouvoirs, la suite et la fin ; on aurait bien aimé retrouver les trois titres avec emboîtage pour Noël. Cette trilogie constitue une œuvre insidieusement édifiante ou didactique pour bon lecteur (aimant lire) : un bon cadeau en perspective.
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