KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Robert J. Sawyer : Merveille (Singularité – 3)

(WWW – 3: Wonder, 2011)

roman de Science-Fiction

chronique par Noé Gaillard, 2011

par ailleurs :

Alors que d'ordinaire, une fois un livre nouveau lu, je me précipite sur mon clavier pour rédiger ma chronique, là, j'ai traîné les pieds et je ne sais trop comment commencer. Du laconique un peu méchant : « Du diptyque incisif ou du triptyque languissant, vous préférez quoi ? ». Ou l'habituel “quatrième de couverture” ?

Va pour cette fameuse Cat de Couve — autant utiliser les moyens du bord.

Je cite les deux derniers paragraphes :

« Éveil (qui a manqué de peu le prix Hugo 2010), Veille et Merveille renouvellent complètement le thème de l'Intelligence Artificielle(1) et répondent à la question de la Singularité posée par Vernor Vinge, l'auteur de Rainbows End.(2)

» Cette série d'une grande intelligence témoigne aussi d'un sens de l'humain, rare dans la Science-Fiction, qui est la marque de Robert J. Sawyer. »

Édifiant non ? Dans le genre excessif et un peu mensonger. Cette trilogie ne renouvelle pas complètement le thème… L'I.A. qui domine tout n'est pas une nouveauté. Et surtout, elle ne peut répondre à la question posée par Vinge puisque c'est par le biais d'un humain (R.J. Sawyer) qu'elle est posée et non par la présence de quelque chose qui nous dépasse… Cela me fait penser à Descartes qui dit quelque part que l'humain ne peut créer que de l'humain (il fait référence aux “Chimères” et les présente comme des associations de parties d'animaux existants). En fait, l'I.A. de Sawyer relève de ce que l'humain peut imaginer et non de quelque chose qui le dépasse comme dans la Singularité.

Quant à la dernière phrase, que j'imagine pondue par quelqu'un qui ne connaît pas la SF, oser écrire que le sens de l'humain est rare en SF, c'est purement et simplement se moquer de la collection elle-même dont le catalogue présente des titres où l'humain est une évidence (je ne vous ferai pas l'injure de vous en citer quelques-uns).

À propos de cette fameuse “Singularité”, je me suis cherché des exemples et des solutions ; permettez-moi de vous en faire part. J'ai toujours été plus ou moins nul en maths et j'ai le souvenir d'être resté “baba” — pas cool — devant des démonstrations qui me passaient à cent coudées au-dessus de la tête. Quand je dis “baba”, je veux dire “abasourdi”, incapable d'aller au-delà du dernier éclair de compréhension, avec l'impression d'être l'idiot du village, d'être un petit humain devant un phénomène qui le dépasse. J'ai même enseigné à des personnes que rendait physiquement malades l'incompréhension de la simple arithmétique, les robinets et les trains qui ne fuient pas au même rythme. Parfois, la compréhension venait, plus tard. Mais dans le même temps, il m'est arrivé de me sentir “absent”, “évanoui”, dépourvu d'esprit critique et dans un grand bien-être, comme en “épiphanie” devant des œuvres d'art ou des prestations scéniques. Dépassé par quelque maîtrise qui se dépasse. Quelque chose qui peut donner l'impression du non-humain ou d'un humain transcendé. Or ce Webmind, je parviens à l'imaginer, presque à le suivre quand il “voit” toutes les opérations en même temps. Cela relève de mon imagination, de l'imaginaire que me permet la SF. Caitlin Decter, la jeune fille qui recouvre/découvre la vue et communique avec Webmind, n'est pas outre mesure surprise par l'I.A. Son père, autiste mais scientifique, n'est pas plus surpris que cela et Chobo le singe accepte ce qui le dépasse, parce qu'en tant que non-humain il ne voit pas que cela le dépasse.

Bref, ce troisième volume n'apporte rien de plus, si ce n'est la marque de l'optimisme de Robert J. Sawyer (c'est peut-être ce que le rédacteur de la quatrième de couverture appelle « le sens de l'humain ») qui balaye les opposants à Webmind sous le prétexte que l'I.A. peut résoudre tous les problèmes… On pourra estimer plaisante l'intervention de Chobo, le singe bonobo manipulé par Webmind, devant les membres de l'ONU ; j'avoue pour ma part lui trouver quelque chose de gênant, de condescendant à l'égard du singe et des humains, d'autant plus que Chobo est et reste outil dans la trilogie. Quant au colonel Hume, qui représente la puissance des USA et désire absolument détruire l'I.A., qu'il perçoit uniquement comme une menace, il est plus réduit à l'impuissance que réellement convaincu et c'est là un des points névralgiques de ce roman. Il nous emporte, nous émeut mais sans convaincre et sa fin dont l'I.A. est l'héroïne nous touche peu alors que nous regrettons les humains qui ont vécu sous nos yeux. Webmind vivait dans ses rapports avec Caitlin ; celle-ci disparue, ce que peut faire l'I.A. perd beaucoup d'intérêt puisque ce n'est pas porté par l'émotion, les sensations, la littérature. En ce sens peut-être, l'humain qui a écrit ce roman donne tout son poids non à l'humain mais à l'humanité.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 69, juin 2011

Lire aussi dans KWS la chronique d'Éveil & Veille par Noé Gaillard


  1. Une forme d'intelligence, ou une intelligence qui surgit d'un moment donné d'un ensemble informatico-électronique est-elle artificielle ou spontanée comme les microbes d'avant Pasteur ? Ne serait-elle pas tout simplement “naturelle”, puisque ce ne sont pas les Hommes qui l'ont “fabriquée” ? Ne serait-elle pas d'une autre nature ?
  2. Pourquoi ne citer que le dernier Vinge paru dans la collection, surtout quand reparaît en mars un Feu sur l'abîme ?

Commentaires

Ajouter un commentaire

Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.