Miquèu Arnaud : Quora la matèria…
roman de Science-Fiction inédit en français, 2017
- par ailleurs :
Nous sommes en Provence en 2200. Les villes ont encore grandi, les gens se déplacent en transport en commun ou, dans de rares cas, sur des veicois, ce qu'on pourrait dire en français véhicouss, des véhicules à coussin d'air. Pourtant le pays a gardé et sa langue et son caractère, et quand la Communauté européenne proclame finalement la dissolution des États pour laisser la bride sur le cou aux régions, l'Occitanie en général et la Provence en particulier sautent sur l'occasion, et vont chercher, autant dans les mas que dans les amphithéâtres universitaires, les compétences dont elles ont besoin pour restaurer l'usage public de leur langue.
Nous suivons les tribulations de Renat Girard, retraité rappelé de sa ferme pour ré-occitaniser la télévision régionale, de Rosamonda Boscatièr, jeune diplômée dynamique qui se retrouve dans les rangs de la police linguistique nouvellement créée, de son amant Romieg Deborn, du collègue de celui-ci Martin Nôtre qui s'engage clandestinement dans le mouvement fasciste Je Suis Français, et de quelques autres. Rosamonda émerge progressivement comme un personnage central, au milieu de la polyphonie pas toujours contrôlée des autres protagonistes : elle doit composer avec une administration incompétente ou de mauvaise foi ; elle commence à mettre son nez dans diverses affaires, et finit par devoir s'enfuir. Romieg, de son côté, a fait une découverte qui pourrait changer tout le paysage de la production mondiale d'énergie.
Ce livre est un peu déroutant. Laissons de côté l'invraisemblable de la date : en-dehors de quelques gadgets, la société n'a pas énormément progressé, et si les villes ont grandi, on trouve toujours un personnage qui va tailler ses vignes à la main — peut-être le fait-il à titre de violon d'Ingres, le roman n'est pas précis sur ce point (et l'est encore moins sur la découverte de Romieg, que l'espace de temps du récit ne nous donne pas l'occasion de voir en action). La situation de l'occitan provençal n'a pas non plus évolué : il garde ses dialectes très précis (que l'auteur maîtrise suffisamment pour en faire parler de différents à ses différents personnages), il n'a pas disparu, mais sa présence est encore contestée. Des caricatures, fort proches, de notre présent sont esquissées. Le coup de chance pour l'occitan est le dépérissement de l'État français mis en œuvre par Bruxelles, un cadeau tombé du ciel dont on se dit qu'il serait plus raisonnable d'imaginer qu'il vienne à la suite d'un long mouvement social ou populaire. En tout cas, on aurait aimé que le roman consacre plus de temps à l'étude de ces aspects.
Le roman se concentre, au bout d'un certain temps, sur une opposition violente, criminelle même au changement de mode de gouvernement et de langue. D'autres personnages, et d'autres fils potentiels de l'intrigue sont ainsi abandonnés, et l'intrigue finit par se resserrer autour de son aspect policier, et d'une course-poursuite dans un morceau de campagne haute-provençale qui, lui, est resté sauvage.
Je suis toujours curieux des additions nouvelles au corpus réduit des textes de Science-Fiction en langue occitane.(1) Si Miquèu Arnaud connaît bien sa langue et en fait un usage intéressant (dans la création de néologismes par exemple), il manque de métier dans l'organisation de son intrigue, et dans la construction de son monde. On sera indulgent pour ce qui est un premier roman, et on attendra avec intérêt d'autres visions issues de sa plume.
- Voir par exemple mes chroniques de l'Estilò negre, lo Tin-Tin d'Ergé, lo Balestrièr de Miramont, lo Pacte, un Matagòt modèrn, Nòvas d’autra part, Puta ! Que la vida es polida…, Cachavièlha psicomotritz, Bèth peu de sau & Balajum.↑
Commentaires
Les commentaires sont publiés après validation par Quarante-Deux.