KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Marc Hòmal : Puta ! Que la vida es polida…

nouvelles fantastiques et de Science-Fiction inédites en français, 2018

chronique par Pascal J. Thomas, 2018

par ailleurs :
 

La production littéraire occitane a, ces dernières années, eu tendance à décroître, et n'est pas assez abondante pour qu'on prétende y discerner des tendances. Je crois néanmoins pouvoir dire que la Science-Fiction commence d'y prendre une place affirmée :(1) c'est la deuxième année de suite que la collection de poche "A tots" chez IEO, qui sort quatre volumes chaque été, en accueille sous sa couverture.

On sera en droit de considérer comme annexioniste l'étiquette “SF” apposée sur un recueil de sept nouvelles dont une est du Fantastique de la plus belle eau, tandis qu'une autre est située dans un futur infesté de morts-vivants, ce qui, pour être devenu un cliché télévisuel, relève encore partiellement de l'Horreur plus que de la SF. Je choisis de privilégier le cadre futuriste des cinq autres textes — fussent-ils souvent plus courts —, et de voir dans le complément de titre (7 istòrias d'endacòm mai) un clin d'œil au recueil de Florian Vernet Qualques nòvas d'endacòm mai, paru en 1976 sous le numéro 21 de la même collection "A tots".(2)

Se pose immédiatement la question de l'auteur de l'ouvrage. Marc Hòmal, cela pourrait être un nouvel auteur, mais c'est surtout un pseudonyme transparent puisqu'il se prononce marcamal, mot qui désigne une personne mal habillée, mais surtout évocateur de l'expression Marcamal se passeja, qui signifie que quelque chose va mal tourner, qu'il y a une bagarre qui menace d'éclater. Ajoutons que le Marcamal est parfois personnifié, comme un personnage du monde des contes, qui porte malheur à qui le croise.

Je suis toutefois à peu près certain que Florian Vernet lui-même ne se cache pas sous le masque de ce Marcamal ; certes, Vernet écrit lui aussi en languedocien, mais son style est plus riche et échevelé, et il n'utiliserait jamais la forme ordenador (mais ordinator), ni le verbe anequelir dans le sens incorrect d'annihiler alors qu'il signifie plutôt faire dépérir.

Peu importe la personne physique de l'auteur, finalement ; plongeons plutôt dans la matière du recueil. Les dernières nouvelles, les bien nommées "la Lucha darrièra" et "Ultimes secrèts", sont très courtes et relèvent d'une SF presque paradigmatique, vouée à l'exposition d'une seule idée : respectivement, les scientifiques fournissent aux deux camps l'arme ultime pour arrêter la guerre… et ça marche si bien que les gouvernements enterrent cette invention, la guerre étant si utile ; et une sonde automatisée, faite pour chercher et trouver, détruit ce qu'elle trouve quand elle le trouve, pour pouvoir continuer son travail de recherche.

Si "Guèrristan", avec son intrigue de guerre éternelle, est plus développé, sa chute ne surprend plus : la Stratégie Ender avait fait mieux, il y a bien longtemps. La dystopie ironique de "lo Pargue Musèu de l'Omni Consorciom" n'est peut-être pas non plus d'une farouche originalité, mais le ton grinçant sauve le texte, qui se déroule comme piège irrémédiable.

On sent le piège fatal dès les premières pages du seul texte fantastique du recueil, "Tòni lo vièlh". Tòni est un sorcier, sans doute seulement un rebouteux bon à impressionner les crédules, et un jeune du village se met en tête de lui voler son magot. Mais le vieux cache bien son argent, et le texte s'ouvre sur une scène de torture assez écœurante — et d'une force indéniable. Le lent désastre qui s'en suit est prévisible, mais finement mené.

Dans l'écœurement réside aussi la force de "l'Òme mai astruc del monde" : Aimat, ultra-violent et pervers, est parfaitement adapté au monde post-apocalyptique dans lequel il vit, où il faut écrabouiller du zombie du matin au soir pour avoir une chance de voir le jour suivant. On regrettera juste que le texte ne reste pas cohérent dans le point de vue subjectif d'Aimat, et que la chute soit un peu maladroitement soulignée.

"Projècte Fai Lum", enfin, est le texte de SF à proprement parler le plus intéressant du livre. Au moment où il allait fonctionner, le projet d'intelligence artificielle le plus novateur du monde est tombé radicalement en panne, et Aelís, sa directrice, démissionne et se retire de la recherche. Beaucoup plus tard, on apprend par ses confidences que l'IA est bel et bien née et s'est échappée… L'amateur de SF exercé aura anticipé, naturellement, et les notations périphériques sur les relations d'Aelís avec ses subordonnés sont un peu étranges, mais l'idée est traitée de façon relativement originale.

Au total, on reconnaîtra à Marc Hòmal un talent pour le gore qu'il pourrait recycler dans des récits d'horreur de première force, et la capacité de traiter les thèmes de la SF contemporaine — même s'il ne se débarrasse pas totalement du symptôme dont souffrent les SF embryoniques de chaque nation : celui de ne pas avoir de mégatexte bien bâti dans leur cadre de référence culturel propre, de ne pas s'inscrire dans un jeu de réponses entre œuvres et de progrès dans l'imagination. Cela ne vient jamais instantanément, mais si la SF occitane continue sur la même pente, cela pourrait venir vite.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 83, novembre 2018


  1. Voir par exemple mes chroniques de l'Estilò negre, lo Tin-Tin d'Ergé, lo Balestrièr de Miramont, lo Pacte, un Matagòt modèrn, Nòvas d’autra part, Quora la matèria…, Cachavièlha psicomotritz, Bèth peu de sau & Balajum.
  2. Respectivement : sept histoires d'ailleurs & Quelques nouvelles d'ailleurs.

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