Florian Vernet : Cachavièlha psicomotritz
roman occitan de Science-Fiction inédit en français, 2018
Cela se passe dans le futur. En principe. C'est le récit autobiographique d'un personnage fictif. En théorie. Le lieu de l'action est Vilamala (que vous pouvez franciser en Villemale si cela vous le rend plus prononçable), en Hétérotopie. En fait, après J@rdindelasdelicias.com et la Nau dels fòls, déjà aux éditions de l'IEO (Institut d'Estudis Occitans), Vernet continue le travestissement burlesque de sa vie, de sa ville (Béziers) et de recoins du milieu occitaniste, et on reconnaît bien des choses sans jamais pouvoir identifier une personne précise.
Le protagoniste, donc, travaille dans une médiathèque consacrée à la culture hétérotopienne à Vilamala, après des années passées dans des bibliothèques de la lointaine capitale française. On peut y voir un double monstrueux du CIRDOC, médiathèque occitane et centre de ressources irremplaçable, mais ce dernier est très loin d'être aussi mal en point que son homologue vernétien. Le narrateur apprécie d'être rentré dans son pays, mais a du mal à supporter ses collègues, partagé entre les paresseux et les arrivistes, et en général dénués de la moindre passion pour la langue et la culture qui leur procurent un emploi. Mais sa vie n'est pas si triste, et lui permet des coucheries qui jettent une lueur sur les dessous de la coterie bourgeoise qui grenouille autour de la municipalité, située bien entendu à la droite de la droite.
De façon plus grave, le protagoniste a un père qui fut important dans la vie culturelle hétérotopienne, et a pris le maquis pour défendre ses vues contre le complot de ceux qui veulent en noyer la langue dans une macédoine de dialectes. Il reçoit de temps à autre des communications paternelles, mais cela peut lui valoir des ennemis autrement dangereux que les cocus du coin.
Le déroulement de l'intrigue principale n'est toutefois pas le point le plus intéressant du livre ; j'ai eu tendance à prendre plus de plaisir à la lecture des digressions outrancières parsemées au long des pages, voire à celles des citations empruntées à des auteurs allant de Montaigne à Bob Dylan en passant par Fernando Pessoa et Tex Avery. Et à une palanquée de livres inventés de toutes pièces.
À la différence de ses ouvrages policiers fantastiques des années 1990 (écrits dans un provençal largement réinventé), Florian Vernet manie ici un occitan languedocien riche et rigoureux, qui correspond en partie à son attachement à un standard commun pour l'occitan, mais abandonne délibérément l'idée d'une intrigue construite pour se livrer aux délices d'une promenade picaresque. Il donne à ce parti-pris une justification dont il aurait pu se passer — et qu'on devinera en considérant le titre —, et que je regrette personnellement : quelle que soit la rationalisation que l'on donne au fait de mettre un récit entre parenthèses au sein d'un autre, tout objet fictionnel suffisamment long, et dépourvu d'interprétation au sein de l'œuvre environnante, acquiert sa propre légitimité et crée sa propre suspension d'incrédulité chez le lecteur. Peu importe qu'une autre partie de l'œuvre, tout aussi fictive, remette en cause la réalité du récit enchâssé — ou alors, elle doit le faire pour une bonne raison.
Ce qu'on perd donc en énigmes et en suspense — sans parler d'une construction du monde cohérente, qui n'est pas même tentée —, on le gagne en traits d'esprit souvent sur le ton de la vacherie, en scènes ahurissantes et en caricatures du ridicule des universitaires occitanisants — ils ne sont pas tous ridicules mais, comme tout spécialiste pointu, ils manifestent parfois un désopilant décalage avec la réalité. J'avoue que souvent, il faut connaître ledit milieu pour pleinement apprécier. Le lectorat potentiel de ce livre se réduira sans doute aux happy few, ou dirons-nous à qualques fortunats.
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