Rufius | Voici un scénario, un grand space opera, Sur quoi je voudrais bien entendre vos hourras ! |
Trhuppotin | Votre œuvre a des beautés bien au-dessus des autres. |
Rufius | Silverberg et K. Dick s'imposent dans les vôtres. |
Trhuppotin | Vous avez le tour libre et le bon choix des mots. |
Rufius | Tous vos enchâssements sont autant de joyaux. |
Trhuppotin | Nous avons vu de vous une B.D. d'un style Qui passe en doux attraits Uderzo et Pamphile. Qui laisse de bien loin Asimov après vous. |
Rufius | Vos robots ont un air noble, viril et doux, |
Trhuppotin | Est-il rien d'amoureux comme vos novelettes ? |
Rufius | Peut-on rien voir de tel aux romans que vous faites ? |
Trhuppotin | Dans la réédition, vous n'avez point d'égal ! |
Rufius | Et vos anthologies sont pour tous un régal ! |
Trhuppotin | Dans les cataclysmes, vous êtes admirable. |
Rufius | Et dans l'écologie je vous trouve adorable. |
Trhuppotin | Si la France pouvait connaître votre prix… |
Rufius | Si tous les Fans rendaient justice aux beaux esprits… |
Trhuppotin | En Cadillac dorée vous iriez par les rues. |
Rufius | En Yverdon déjà, vous seriez en statue. Hom ! C'est un scénario, et je veux tout exprès Que vous… |
Trhuppotin | Avez-vous vu certain petit extrait Que Futurs publia, adorable avanie ? |
Rufius | Oui. Hier, il me fut lu dans une librairie. |
Trhuppotin | Vous en savez l'auteur ? |
Rufius | Non, mais je sais fort bien Pour ne le point flatter, cet extrait ne vaut rien. |
Trhuppotin | Les critiques pourtant le trouvent admirable. |
Rufius | Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable ; Et, si vous l'aviez vu, vous seriez de mon goût. |
Trhuppotin | Je sais que là-dessus je n'en suis pas du tout, C'est un extrait superbe, bien choisi, agréable. |
Rufius | Me préserve le ciel d'en faire de semblables ! |
Trhuppotin | Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur ; Et ma grande raison, c'est que j'en suis l'auteur. |
Rufius | Vous ? |
Trhuppotin | Moi. |
Rufius | Je ne sais donc comment se fit l'affaire. |
Trhuppotin | Un bon copain, parfois, suffit pour satisfaire… |
Rufius | Il faut qu'en écoutant j'aie eu l'esprit distrait, Ou bien que l'imprimeur m'ait gâté cet extrait. Mais laissons ce discours, et écoutons mon space. |
Trhuppotin | Bof ! Le space, à mon goût, c'est comme la mélasse. Ce n'en est plus la mode, cela sent son vieux temps. |
Rufius | Mais le space opera charme beaucoup de gens. |
Trhuppotin | Cela n'empêche pas, ce genre me dégoûte. |
Rufius | Pourtant, de la S.-F., il a tracé la route ! |
Trhuppotin | Il a, pour les gâteux, de merveilleux appâts. |
Rufius | Cependant, je vois bien, cela ne vous plaît pas. |
Trhuppotin | Vous donnez sottement vos qualités aux autres. |
Rufius | Fort impertinemment, vous me jetez les vôtres. |
Trhuppotin | Allez, écrivaillon, barbouilleur de papier. |
Rufius | Allez donc, fanzineux, opprobre du métier. |
Trhuppotin | Va, va restituer tous les honteux larcins Que proclament sur toi et Van Herp et Versins. |
Rufius | Va, va-t'en faire amende honorable à la Science D'avoir, dans tes brouillons estropié l'essence. |
Trhuppotin | Souviens-toi de ton livre et de son peu de bruit. |
Rufius | Et de ton éditeur au chômage réduit. |
Trhuppotin | Ma gloire est établie, en vain tu la renies. |
Rufius | Oui, oui, je te renvoie à l'Encyclopédie. |
Trhuppotin | Je t'y renvoie aussi. |
Rufius | J'ai le contentement Que Versins m'a traité plus honorablement. Il me donne en passant une atteinte légère, Parmi plusieurs auteurs qu'à Paris on révère ; Mais jamais dans ses mots il ne te laisse en paix, Et l'on t'y voit partout être en butte à ses traits. |
Trhuppotin | C'est par là que j'y tiens un rang plus honorable. Il te met dans la foule ainsi qu'un misérable ; Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler, Et ne t'a jamais fait l'honneur de redoubler ; Mais il m'attaque à part comme un noble adversaire Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ; Et ses coups, contre moi redoublés en tous lieux, Montrent qu'il ne se croit jamais victorieux. |
Rufius | Ma plume t'apprendra quel homme je puis être. |
Trhuppotin | Et la mienne saura te faire voir ton maître. |
Rufius | Je te défie enfin, à Toulouse ou à Metz. |
Trhuppotin | Hé bien ! nous nous verrons seul à seul chez Barets. |
Georges Pierru : poésies et pastiches
les Fans savants
1984, inspiré de Molière