Javier Negrete : le Regard des Furies
(la Mirada de las Furias, 1997)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
À la vue du Regard des Furies de Javier Negrete, j'ai soudain pris conscience que je ne connaissais rien de la Science-Fiction espagnole. Saisi de confusion, j'ai voulu me renseigner dans les ouvrages de référence : aucune allusion dans l'Histoire de la Science-Fiction moderne de Jacques Sadoul, pas plus dans le Science-Fictionnaire de Stan Barets, ni dans la Science-Fiction de Lorris Murail. J'ai consulté les quelques volumes en ma possession où des nouvelles et des romans français avaient été traduits en espagnol : pas trace d'un auteur du cru dans le catalogue. Seul Pierre Versins, dans son Encyclopédie de l'Utopie, des Voyages extraordinaires et de la Science Fiction, fait allusion à Antonio Ribera et Domingo Santos, qui défendirent le genre dans les années 60-70. Poursuivant mes recherches dans l'encyclopédie de John Clute et Peter Nicholls, parue en 1993, j'y apprends que revues et collections se développèrent après la mort de Franco. Mais seulement 50 romans d'auteurs autochtones furent publiés sur les 1300 livres de SF parus entre 1955 et 1990, la plupart anglo-saxons.
Mais aucun en France, à ma connaissance. Il s'agissait donc de réparer d'urgence cette omission coupable. Surtout pour sentir s'il existait une “touche espagnole” dans le roman de Negrete.
D'emblée, l'ouverture est séduisante, qui propose une relecture de Thucydide afin de vérifier si, au xxiie siècle, la morale n'a toujours pas d'autre fondement que le pouvoir.
Les sociétés multinationales ont créé des êtres bioniques, les génètes, doués de facultés extrêmes pour des besognes pointues et criminelles. Nous sommes à l'heure du Grand Ralentissement. Sous la pression de l'opinion mondiale, ces dangereux mutants sont mis en hibernation. Or, un vaisseau spatial fait naufrage sur une planète bagne, Rhadamante. Il contient le secret du moteur hyperluminique dont rêvent les Humains. Les Tritons qui le possèdent menacent d'exterminer notre espèce si l'astronef n'est pas immédiatement restitué. C'est pourquoi Érèmos, le génète, est réveillé afin de dénouer la crise au profit de la compagnie qui l'emploie, l'HONYC. Une rude compétition s'annonce entre hyperpuissances.
Érèmos parviendra-t-il à vaincre les Érinyes sur ce Tartare où le conduit sa mission ? Machine humaine plutôt qu'Homme, se libérera-t-il du pouvoir de ses créateurs ?
Ce space opera bien agencé, qui joue sur les rivalités de clans, ne manque ni de surprises sur la physique de l'espace, l'utopie concentrationnaire, ni d'aperçus originaux sur les failles quantiques dans le cerveau des ivrognes. Il souffre néanmoins d'un défaut majeur : le lecteur a constamment l'impression que deux auteurs l'ont écrit. D'une part, celui qui possède une réelle ambition littéraire, sait construire des situations mystérieuses, camper des personnages attachants, mettre en perspective sa réflexion philosophique sur le pouvoir. De l'autre, son propre nègre qui dilue la prose à des fins commerciales, responsable de dialogues insipides, d'épisodes de pure violence empruntés au cinéma américain.
Ce qui me fait regretter ce petit noir bu en compagnie de Javier Negrete au meilleur de sa forme, dans une cantina au bord du Pyriphlégéton, torrent de lave qui sinue dans les cañons de Rhadamante.