Scott Westerfeld : l'I.A. et son double
(Evolution's darling, 2000)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Voici que mes yeux se posent avec retard sur un roman si sophistiqué, si tortueux, d'où émane le parfum douceâtre de la décadence, si talentueusement mûri dans sa pose littéraire qu'il n'aurait jamais dû échapper à ma fringale de découvertes. Imaginez un Huysmans abordant la Science-Fiction, s'associant à Pierre Louÿs afin d'écrire un À rebours sado-maso, au lieu de se convertir au catholicisme. Voilà un thème qu'aucune intelligence artificielle n'inventera jamais ! Détrompez-vous. Scott Westerfeld a osé. Car je soupçonne cet auteur, mystérieusement surgi de l'improbable, d'appartenir à un type de machine célibataire, frauduleusement appelé “Humain”.
À l'inverse de la tendance cyberpunk qui fait de la voracité technologique un principe de récit et de la causalité un motif d'épouvante, Westerfeld s'appuie sur la langueur et le maniérisme pour produire des chapitres énigmatiques qui, en se recoupant, composent la trame sensuelle de l'I.A. et son double. Mais que sont ces I.A. qui surfent sur le futur ? La plupart sont soumises à des tâches subalternes, propres à servir les habitants de l'Expansion. D'autres augmentent leur quotient de Turing jusqu'à franchir le test de l'unité, deviennent des Mentaux.
Chéri est de ceux-là. Lui qui a fusionné par les sens avec Pasque, sa jeune maîtresse, pour en extraire le suc anthropique. Sur la planète des Lithomorphes, ces géants de pierre aux mouvements infinitésimaux, il a conquis la protection légale accordée à tout être doté de conscience. Deux cents ans plus tard, l'intelligence artificielle est devenue “expert” en œuvres d'art. En particulier celles du défunt Vaddum, un sculpteur de génie. Or, voici qu'une œuvre inconnue apparaît sur le marché ; que deux mystérieuses boîtes noires surgissent dans le Lointain, sur Malvir, donnant lieu à penser qu'un fabricant a bravé l'interdit suprême en créant le clone d'une I.A. Informations qui déclenchent les voraces appétits des marchands, l'ire des puissants. Mira, tueuse à gages vêtue de sa seule arme-objet d'art, est dépêchée pour étouffer le scandale dans l'œuf. Tout se résoudra dans son choc frontal, animal, passionnel avec Chéri.
C'est dans la description de ce tumulte, de ces rapports amoureux entre l'intelligence artificielle et son adversaire biologique, comparse sexuelle, que Westerfeld affirme son originalité. Car il faut avouer que la SF dans son ensemble souffre de pudibonderie et qu'une autocensure issue du puritanisme régit l'anglo-saxonne. Pourquoi la recherche de l'idée, la soif spéculative tuerait-elle le plaisir ? Bien au contraire, c'est l'occasion d'inventer un nouveau Kāmasūtra galactique où les vrilles informatiques, les nanomachines érotiques, les membres supplétifs combleront de nouveaux désirs, offriront à nos sens des postures inédites. Mieux encore, c'est le moyen d'explorer par l'écriture d'inédits terrains vagues où rodent la luxure et le stupre, la lubricité. De ce point de vue, l'I.A. et son double offre une superbe maîtrise de la langue et du style qu'a parfaitement su exprimer son traducteur.