Keep Watching the Skies! nº 2, novembre 1992
Gene Wolfe : Storeys from the old hotel
recueil de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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On aurait pu penser que des recueils comme l'Île du docteur Mort et autres histoires, Gene Wolfe's Book of days, et plus récemment Endagered species (Silhouettes + Toutes les couleurs de l'Enfer) auraient épuisé toutes les nouvelles de Wolfe qui en valaient la peine. En voici pourtant un autre paquet, qui languissaient dans certains cas dans l'obscurité depuis longtemps.
Fonds de tiroir ? Pas vraiment : les textes sont moins commerciaux, plus inhabituels, plus courts, pas plus mauvais. Les fragments paraissent dispersés, mais chacun scintille suffisamment pour éclaire son petit coin. Wolfe excelle à la description des paumés, qui échouent dans quelque bistrot perdu comme des débris naufragés de la société — ou comme ses rouages infimes. C'était l'atmosphère qui dominait Free live free, et je la retrouve dans "Westwind", et "Beech Hill", dans laquelle des gens bien ordinaires tiennent des congrès pour se raconter leurs fantasmes de réussite.
Dans des hôtels… on rencontre bien souvent la solitude, solitude qui est endémique à ce livre ; la solitude peut résulter des changements technologiques ou sociaux, comme dans "Sonya, Crane Wessleman, and Kittee" ou "In Looking-Glass Castle", elle peut être soulagée par la magie comme dans "Love, among the corridors" ; et il faut mentionner tout particulièrement la solitude des vieux, comme dans "the Packerhaus method" ou "the Death of Doctor Island". La mort, en effet, est l'aboutissement logique à une solitude plus complète encore comme dans "Checking out".
La plupart de ces nouvelles n'ont pas grand-chose à voir avec la S.-F., mais nous sommes désormais habitués aux violations de frontières que se permet Wolfe. Pourtant, quoiqu'on trouve ici un certain nombre de textes qui ne mériteraient pas l'étiquette de S.-F. ou celle de Fantastique, on y trouve aussi de la S.-F. plus “pure” que celle à laquelle il nous a accoutumés, des récits pleins de robots, de vaisseaux, bref de tout l'attirail requis. Par exemple "Trip, trap" qui, parue dans Orbit 2 en 1967, a marqué selon Wolfe le début de sa carrière d'écrivain professionnel. On dirait du Sheckley pour l'idée, mais c'est écrit avec le souci du détail qui caractérise Wolfe.
N'importe quel lecteur de la tétralogie du Nouveau Soleil, par exemple, saura à quel point il est crucial de guetter les indices que Wolfe sème à l'attention du lecteur attentif, dissimulés à la fin d'une phrase ou au sein d'une description technique. Pas étonnant donc qu'il écrive des nouvelles policières parfaites — je trouve plus étonnant que son roman Pandora by Holly Hollander soit resté si longtemps inédit. Wolfe nous gratifie ici de charmants pastiches de Sherlock Holmes avec des robots dans les rôles principaux — démontrant que Wolfe sait se faire plus asimovien qu'Asimov —, d'une énigme située dans un cadre de sword and sorcery — ce qui est délicat, vue la ruse des sorciers —, un éblouissant “mystère de la nef close” (avec clone), et un récit d'escroquerie technologique dans un monde post-holocauste. Toutes superbement racontées. La vraie énigme étant de savoir comme celles-ci sont restées par le “most obscure work” de Gene Wolfe [1].
Notes
[1] D'après l'introduction.