Keep Watching the Skies! nº 3, janvier 1993
Georges Perec : L.G. : une aventure des années soixante
recueil d'articles ~ chroniqué par Markus Leicht
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« Les rapports de la littérature et de la révolution n'ont jamais été simples. Le tort de la littérature engagée est d'avoir cru qu'ils l'étaient. Son échec n'est pas imputable au talent des auteurs, mais à la conception qu'ils se faisaient de la littérature : leurs œuvres témoignaient d'un désir évident mais vain d'emporter des adhésions immédiates, de balayer des préjugés, d'entraîner des convictions : la littérature était une continuation de la politique : l'on voulait convaincre et seulement convaincre. La politique n'avait pas grand-chose à y gagner, et la littérature avait tout à y perdre… »
Non, il ne s'agit pas d'une critique de la nouvelle Science-Fiction politique française de la fin des années 70, mais d'un extrait d'un article de Perec intitulé "Pour une littérature réaliste", et date du début des années 60. Il avait écrit pour une revue qui ne vit jamais le jour : la Ligne générale. Les lecteurs cinéphiles auront reconnu là le titre d'un film d'Eisenstein.
C'est l'ensemble des textes que Perec écrivit pour cette revue que reprend ce recueil. Là, vous commencez à vous inquiéter. Ca y est, Markus est fou. Il voit de la S.-F. partout.
Vous n'y êtes pas du tout. Et voilà en quoi cet ouvrage nous intéresse : ce volume reprend un article de vingt-cinq pages, intitulé "l'Univers de la Science-Fiction". Article paru en 1963, dans le nº 10 de Partisans. (Hé, les Quarante-Deux, vite à votre Mac pour rentrer cette info !) [*]
Vu la date de parution, il est aisé de deviner que cet article porte sur une analyse de l'essai de Kingsley Amis, paru chez Payot. En fait, Perec torche celui-ci en quelques pages. Trente ans après la parution de cet article, les idées qu'il exprime peuvent paraître naïves, mais une bonne partie des propos de Perec restent d'actualité et ses critiques de quelques classiques du genre sont souvent pertinentes : « Fondation, d'Isaac Asimov, déroule des perspectives impressionnantes avec une pénurie de moyens souvent affligeants. ».
Dans la dernière partie, Perec analyse comment, à partir des idées véhiculées par la S.-F. des années 50, on en est arrivé à la revue Planète de Pauwels : « Chaque numéro de Planète nous plonge dans des univers obscurantistes et crétinisants sensiblement inférieurs au niveau mental des aventures de Superman ou de Mandrake, remplacé ici par Teilhard de Chardin et Alfred Korzybski. ».
On se souviendra qu'à l'époque, Fiction refusa de se pencher sur le cas de Planète, sinon pour célébrer sa naissance dans un article de plusieurs pages extrêmement ambiguës. Alors que deux ans auparavant Gérard Klein et Francis Carsac dénonçaient violemment le Matin des magiciens, l'ouvrage qui fut à la based du mouvement Planète, dans les pages de ce même Fiction.
Dans cette période de crise Science-Fictionnelle, Perec nous offre par-delà le temps un regard lucide et rafraîchissant qui nous fait regretter la disparition des grands critiques de S.-F. et même des grands critiques tout court.
Notes
[*] Note de Quarante-Deux en janvier 2004 : il nous aura fallu onze ans mais voilà, Markus, c'est fait, ladite info a été intégrée à exliibris.