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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 5 le Temps fugitif

Keep Watching the Skies! nº 5, octobre 1993

James P. Blaylock : le Temps fugitif

(Lord Kelvin's machine)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

Délaissant pour un temps ses romans de Fantasy situés dans un univers imaginaire (le Géant de pierre et autres) ou dans la Californie contemporaine (Land of dreams, the Paper grail, le Dernier denier), Blaylock nous offre une suite à son roman d'aventures scientifiques victoriennes, Homonculus. À la différence de ses collègues temporairement convertis au “steampunk” comme Gibson et Sterling, ou Jeter, Blaylock est plus intéressé par l'invraisemblance que la par la vraisemblance scientifique, et on soupçonne qu'il n'ira pas chercher son inspiration dans les articles scientifiques sérieux, mais plutôt justement dans ceux qui auront été unanimement dénoncés.

Comme il convient, son héros Langdon St Ives est aventurier plus qu'homme de laboratoire, et l'Académie Royale refuse systématiquement de prendre en considération ses nombreuses communications. Lord Kelvin, dont il doit admirer le génie de loin, ne lui parlera certes jamais. Pourtant c'est St Ives qui avait raison sur les dangers de l'expérience sur le champ magnétique terrestre que proposait le très digne patron de la physique britannique, et c'est encore lui qui saura récupérer sa fantastique machine pour voyager dans le temps…

Avant cela, toutefois, il lui faudra connaître un certain nombre de déplaisantes péripéties, qui l'opposent à l'ignoble docteur Ignacio Narbondo, ses complices et ses successeurs putatifs. Le roman se présente sous la forme d'une suite d'épisodes pas toujours bien reliés entre eux ; c'est sans doute dans la tradition feuilletoniste de la littérature populaire, mais cela ne le rend pas très agréable à lire : on finit par ne plus apprécier les courses-poursuites pour retrouver telle ou telle machine biscornue, dont le but ne deviendra apparent que beaucoup plus tard.

Œuvre mineure, donc, mais cependant originale sur quelques points. Tout d'abord le développement du méchant, Ignacio Narbondo, qui recèle des profondeurs inattendues : toute sa méchanceté provient des malheurs de son enfance. On ne sort peut-être pas des clichés du xixe siècle —Blaylock nous donne quelques pages à la Dickens —, mais on se change un peu de l'univers du feuilleton d'aventures.

Comme dans Land of dreams, le voyage dans le temps est bien traité, sur un mode très intimiste : une chance de rattraper les bêtises que l'on a pu faire, et Langdon St Ives est spécialiste en bêtises. Dommage qu'on ne rentre dans le vif du sujet que si tard. St Ives, en bon héros blaylockien rêveur et indécis, est tout aussi perclus de défauts psychologiques que ses adversaires.

Plus surprenant encore, il perd sa femme — dont il était follement amoureux — au début du livre, et en acquiert une dimension tragique qui n'était évidemment pas présente chez ses modèles de l'anticipation scientifique du début xxe siècle. Quand on sait que le héros blaylockien typique ne vit qu'en opposition avec le réalisme anti-magique de son épouse dominatrice, mais indispensable à la survie du ménage, on ne s'étonne pas que St Ives connaisse des passages à vide au cours du livre. Et Blaylock réinterprète les clichés d'une littérature populaire maintenant suffisamment surannée pour susciter en moi un sourire nostalgique.