Keep Watching the Skies! nº 5, octobre 1993
James Blish : Semailles humaines
(the Seedling stars)
roman de Science-Fiction par nouvelles ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Tant Denoël, avec la série des Villes nomades, que J'ai Lu nous ressortent James Blish cette année. Ca fait plaisir de penser qu'un auteur décédé depuis longtemps, qui n'a jamais été une superstar, et qui avait de la S.-F. une conception plutôt rigoriste, moins accrocheuse que celle d'un Isaac Asimov, puisse encore trouver des lecteurs aujourd'hui.
J'ai pour James Blish une admiration qui remonte à loin. Il était pour moi un de ces faiseurs d'univers qui m'ont fait découvrir la S.-F., et j'avais un peu peur en reprenant le bouquin d'être déçu par mes yeux d'aujourd'hui, quinze ans plus blasés qu'à l'époque. C'est vrai, Blish ne se souciait pas trop dans ce livre de créer des personnages complexes : presque tous masculins, définis par leur fonction, ils font de brèves apparitions destinées à faire avancer des causes et des histoires plus grandes qu'eux. Blish trace le destin de l'humanité, on ne va pas l'asticoter sur la psychologie des personnages.
Semailles humaines — j'avais esquivé la question jusqu'ici — n'est pas un roman ; il relève de cette forme quasi oubliée, le cycle de nouvelles, né des contraintes éditoriales de la publication en revues. Ni roman découpé en feuilleton, ni suite d'aventures plus ou moins indépendantes des mêmes personnages, un cycle développe une histoire au travers d'une série de péripéties pas forcément dans la continuité les unes des autres, mais qui en s'additionnant forment un tout plus grand que la somme des parties. Exemple, pas vraiment méconnu celui-là : le cycle de Fondation (les deux premiers livres au moins, ensuite, avec l'allongement des récits, puis le passage au format roman à partir du beaucoup plus tardif quatrième volume, tout le plaisir s'est évanoui). Contre-exemple : les histoires de robots — qu'Asimov a continué à pondre épisodiquement —, mais dans lesquelles l'évolution globale s'efface vite devant les péripéties isolées.
Voulant suivre la progression de l'humanité le long des millénaires de son expansion dans l'espace interstellaire, Blish ne pouvait pas s'attacher à suivre les mêmes personnages tout au long du livre. Cette dissémination nécessite l'abandon de la forme humaine d'origine pour adapter les colons aux conditions de vie sur diverses planètes. Dans la plus longue des quatre nouvelles qui constituent le cycle, le “livre troisième”, le récit est même fragmenté en chapitres qui se déroulent chacun dans une génération différente d'une même population d'“humains” microscopiques, dont — en raison d'un patrimoine génétique limité — les mêmes types, avec les mêmes fonctions héréditaires, se reproduisent le long des âges. Situation qui laisse un petit inconfort idéologique, comme cette insistance jamais remise en question sur l'expansion humaine dans l'univers — seule une grève, résolue en un tournemain, peut ralentir le programme d'exploration du visionnaire de service.
On pardonnerait à Blish, parce que ses idées sont frappantes ; mais il ne faudrait pas s'arrêter à ces aspects vieillis de l'œuvre. Car ce qui manque en action violente ou en finesse psychologique est compensé par des dialogues discursifs dans lesquels Blish fait passer deux idées-forces : le devoir de révolte qu'a un individu placé face à un système fondé sur le mensonge, l'ignorance ou l'injustice — révolte qui s'exprime, justement, par le voyage d'exil exploratoire — ; et la dignité de l'esprit humain, au-delà de tous les détails matériels de la vie ou de la forme même de l'animal humain. C'était bien entendu une charge contre le racisme — remettez-vous dans le contexte des années 50 —, mais apparemment elle n'avait pas dû être bien comprise, puisque dans le — très bref — “livre quatrième”, Blish écrit un dialogue entre humains “d'origine” et hommes-phoques qui démolit explicitement les thèses racistes — allant jusqu'à se servir pour le retourner de l'euphémisme typiquement américain “minorité”. Et ça, c'est toujours d'actualité…
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