Keep Watching the Skies! nº 6, janvier 1994
Alain Dorémieux : Territoires de l'inquétude 7
anthologie de Fantastique ~ chroniqué par Micky Papoz
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Dans son avant-propos, Alain Dorémieux, compilateur de l'anthologie, prétend se délecter des critiques qui lui parviennent. Un anthologiste ou un directeur de collection qui ne lit pas les critiques de ce qu'il produit ne serait pas digne de poursuivre cette tâche. Cela démontrerait qu'il se fout complètement des lecteurs concernés et de tous les lecteurs en général. Donc, que M. Dorémieux soit remercié de se livrer à cet exercice, même s'il prétend parfois ricaner en lisant ce qu'on raconte de méchant sur lui et ses anthologies. Pourtant, c'est bizarre, je ne crois pas qu'il se fiche vraiment de ce qui est dit de son travail. Je le devine trop sensible dans ses écrits pour ne pas être blessé quand un critique lui démolit complètement une anthologie et les nouvelles qu'elle renferme. La raillerie ou une certaine agressivité cache souvent une grande humanité, aussi paradoxal que cela paraisse. Tout comme un orgueil démesuré cache souvent une grande timidité. Oui, oui, je suis certaine que les grands orateurs sont avant tout des timides qui suivent une sorte de thérapie en haranguant les foules. En ce qui concerne Alain Dorémieux, je ne sais pas s'il a eu sous les yeux mes critiques ! Qu'importe. Je n'ai pas souvent le temps d'expédier des photocopies de ce que je fais aux directeurs de collections, je laisse ce soin aux rédacteurs des revues où j'interviens. Par contre, quand j'ai vraiment aimé un livre ou la nouvelle d'un auteur que je connais ou avec lequel je corresponds, je n'hésite pas à lui envoyer le papier où j'écris ce que je pense de son bouquin. Depuis que je parle de Territoire de l'inquiétude, j'ai rarement dénigré l'anthologiste, pas plus que les auteurs. J'ai seulement annoncé les meilleures nouvelles dont je m'étais délectée, voire pourléchée les babines. Par contre, j'ai dénoncé pour le numéro 6, la banalité de certains textes qui, bien qu'écrits avec un savoir faire professionnel, ne m'avaient pas étonnée. J'ai signalé également la faiblesse de la bleuette — je reprends le terme — de Wildy Pétoud, auteure qui nous avait fait frémir avec sa nouvelle "Accident d'amour" qui a remporté un prix de l'Imaginaire bien justifié et un Prix Rosny aîné qu'elle brandissait fièrement lors de la dernière Convention à Orléans. KWS n'était pas encore paru, mais ma critique était déjà expédiée depuis un moment à notre charmante rédactrice. Étant honnête de nature, j'ai préféré en avertir Wildy qui m'a entièrement approuvée de cette mesure. Je ne vous dis pas le mot dont elle a qualifié elle-même sa nouvelle, car je crains la censure de la rédac en chef ou du claviste. Avec ce numéro 7— non, je ne suis pas un numéro ! —, je crois que tous les lecteurs vont être comblés. J'ai rarement vu une telle unité de qualité dans une anthologie. Ce dont je suis certaine, c'est que d'autres critiques vont la massacrer. Pourquoi ? Parce qu'elle nous fait entrer dans un Territoire de l'Inquiétude insoupçonné, celui qui balaie tous les tabous et qu'elle va déranger les bien-pensants et les autres. Aussi ne vous fiez pas à ceux qui diront que… Écoutez-moi. Tiens, la nouvelle primée de Wildy aurait mérité de figurer dans ce numéro, et là, je suis certaine que c'est toute l'anthologie qui remportait le Prix de l'Imaginaire. Si je vous dis que "Ce que vivent les roses" de Jacques Chambon est ma nouvelle favorite, on va m'accuser de flagornerie, et pourtant… J'ai été étonnée par la manière dont l'auteur pouvait penser et réagir vraiment comme une femme. Il faut un grand talent d'écrivain pour arriver à cette identification. Si j'avoue que "Nibards" m'a autant remuée, on me dira que c'est parce que je privilégie toujours les femmes nouvellistes ou romancières — là, c'est vrai, je ne suis pas de celles qui démolissent une consœur, d'autant plus quand mes consœurs ont un talent fou. Cela dit, si j'ajoute que la nouvelle de Karen Joy Fowler, "Anna et le loup", m'a fait tout autant frémir, on va commencer à comprendre que j'ai été emballée par l'anthologie, surtout si j'ajoute que "Sucre filé" de Jean Claude Dunyach m'a révélé un fantastique auteur de texte fantastique que j'ignorais. Je ne savais pas que comme moi, il avait un goût prononcé pour les sucreries — hum, la guimauve ! Eh oui ! de Jean Claude Dunyach, je ne connaissais que l'écrivain de Science-Fiction au sens le plus parfait du terme. Si je dis que "Crever les yeux de Dieu" de Richard Canal m'a donné un grand frisson, car Canal s'est attaqué à un tabou que personne jusqu'à maintenant n'avait osé violer. Quand on connaît mon goût pour les textes malsains et dérangeants, on ne sera pas étonné. Mais j'ai tout autant savouré la nouvelle de Raymond Milési, "l'Heure du monstre". Là encore, un tabou de démoli avec brio. Mais dois-je vraiment citer tous les textes de cette anthologie, monstrueuse de diabolique, monstrueuse de talent ? Ouf ! on me dit que non ! Alors merci M'sieur Dorémieux de nous offrir votre travail. Continuez et ricanez en me lisant.