Keep Watching the Skies! nº 10, février
Auteure de nombreux romans pour adultes et enfants, de scénarios de B.D. et journaliste, Anne Duguël est connue aussi sous le ravissant diminutif de Gudule et nous offre ici un livre vénéreux, intitulé Asylum, nom d'une orchidée qu'il est préférable de ne jamais respirer. Le roman démarre avec un flash-back — milles excuses, M. Toubon —, fait pour intriguer le lecteur et lui offrir un premier repaire. Un prologue est fait pour ne pas être oublié jusqu'à la fin du livre. L'orchis asylum sponsae se traduit par l'asile de la mariée, et, quand une jeune mariée est violée le soir de ses noces sur le corps tout frais tué de son jeune époux, on se doute un peu des terribles conséquences qu'il peut en découler. Remarquablement orchestré, ce roman, bien que complètement différent par le sujet, est une réussite comparable au remarquable le Corridor, paru chez Denoël, ce qui n'est pas peu dire. Autre par le thème mais, tout de même, on peut remarquer qu'Anne Duguël aime mener ses lecteurs dans les inextricables labyrinthes qu'elle affectionne.
Un jardinier qui boite, un château, des parents qui n'en sont pas et qui surveillent étroitement leur petit garçon prénommé Julien, une tata sadique à l'œil de verre et qui persécute l'enfant en le menaçant d'ôter son œil s'il n'avale pas sa tartine couverte de poivre, un papa savant vêtu d'une blouse blanche, une étrange rengaine, une démente enfermée dans un asile, autant d'ingrédients pour allécher les lecteurs exigeants que nous sommes.
Le petit garçon parle à la mariée chaque soir et lui raconte les étranges sévices qu'il a coutume de subir depuis le berceau. Est-il normal que des parents s'acharnent ainsi sur leur enfant et lui tire de grandes seringues de sang. À quoi peut-il être destiné ? Bien sûr, le petit garçon possède d'étranges pouvoirs, des dons. Il est capable de faire un scrabble de dix mille pièces et même de résoudre des problèmes mathématiques particulièrement difficiles. Bien entendu, il y a Titi, le jardinier ; lui, il aime l'enfant, comme s'il était le sien… L'homme couvre les escapades du petit quand celui-ci est las de le regarder effectuer ses patientes greffes sous l'étouffante serre. Il y a la petite chapelle où il fait si bon se réfugier, la crypte qui sent le moisi, il y a l'escalier que l'enfant découvre au fond d'un cercueil. Un tunnel qui n'en finit pas et qui mène vers un autre ailleurs pas plus agréable que l'endroit quitté. Ici encore, il y a des hommes et des femmes habillés de blanc. Il y a aussi de drôles de malades.
Anne Duguël possède le sens de la mise en scène et des mots. Elle sait décrire les états d'âme, la violence, la peur, la tendresse et les galeries souterraines qui mènent vers d'impossibles rêves ou vers l'avenir. Vers une étrange petite fille masquée, une amie, une complice qui aidera l'enfant à résoudre ses problèmes. Et toujours revient, inlassable, la petite rengaine : « Dans la maisonnette au fond des bois, un petit cœur battait, une deux trois… ».
Au bout du tunnel vient la vérité plus qu'éprouvante. Terrible. Un enfant peut-il la supporter sans perdre sa personnalité ?