Keep Watching the Skies! nº 12, mai 1995
Alain le Bussy : Quête impériale
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel
→ Chercher ce livre sur amazon.fr
En passant des Gilles Thomas, P. -J. Hérault et autres Billy à Alain le Bussy, nous montons d'un cran. Alain le Bussy est un auteur de science-fiction qui sait au moins ce que le mot veut dire, ce qui n'était pas évident dans le cas des autres.
Le hic, c'est que la SF que connaît, et que pratique, Alain le Bussy date d'il y a trente ou quarante ans. (Remarquez qu'il y a une lecture intéressante à faire de ce livre du point de vue de la décolonisation, ce qui nous ramène justement trente ans plus tôt…) Ce sont les livres de cet acabit qui me portent a croire que la SF française souffre de n'avoir jamais tout à fait assimilé un roman et un film. Le roman, c'était Dune. Le film, c'était la Guerre des étoiles. Même quand ils ne sont pas présents nommément dans une œuvre, comme celle d'Alain le Bussy, ils servent de caution.
Les auteurs qui composent des romans comme Quête impériale, placés sous le signe de l'incohérence dans la construction de mondes, ont lu Dune mais n'ont pas noté tout le travail accompli par Herbert pour figer et, surtout, fragmenter les connaissances technologiques de la civilisation interstellaire qu'il a inventée.
Or, quand dans un roman comme celui-ci, il n'y a aucun frein ou empêchement à la diffusion des connaissances technologiques et à leurs progrès, l'auteur obtient d'emblée un fantastique conflit cognitif chez ses lecteurs en présentant un monde qui est à la fois prodigieusement plus avancé que le notre (l'Empire a des astronefs supraluminiques, des armes radiantes, la gravité artificielle) et qui l'est infiniment moins (il n'y a pas de détecteurs capables d'opérer dans l'infra-rouge pour surveiller les appartements où le prince impérial Varlo est détenu, il n'y a pas de détecteurs magnétiques sur la planète Rakleion capables de signaler les armes cachées de nos héros, il n'y a pas d'ordinateurs capables de trouver la solution jusqu'a la dixième décimale plus rapidement que ne peuvent le faire une équipe d'humains dotés, il semblerait, de règles à calcul !). Quête impériale relève du space opera pratiqué tel qu'il y a quarante ou cinquante ans. En le lisant, j'ai songé aux romans d'Edmond Hamilton de cette époque. C'est remonter loin, et les lecteurs modernes n'accrocheront peut-être pas.
Les aventures du prince Varlo, héritier du trône impérial, et de ses amis sont très convenues, mais il y a aussi quelques efforts d'originalité qui sans vraiment innover sont tout de même rafraîchissants. Ceux-ci concernent surtout les planètes visitées par nos héros, une fois que Varlo et ses compagnons quittent la capitale impériale, dirigée par des machines intelligentes qui veillent loin sous terre. Ce qui est plus agaçant, c'est de retrouver encore une fois la bonne vieille quête du Monde Originel.
J'ai réussi à digérer un certain nombre de choses, mais c'est ce vieux cliché qui a failli m'achever. Surtout que Varlo et les autres savent dès le départ quels mondes ont été colonisés directement à partir du Monde Originel et ils savent aussi lesquels ont été colonisés par des vaisseaux subluminiques. En établissant pour plusieurs planètes le volume spatial d'où les colonisateurs auraient pu venir, on pourrait sans doute cerner un secteur assez bien défini. Si on se rappelle que dans un rayon de 17 années-lumière autour du Soleil, il n'y a qu'une, à la rigueur deux, autres étoiles du même type, les chances risquent d'être bonnes de tomber sur un volume où il n'y a que deux ou trois systèmes à explorer.
En fait, c'est très difficile de justifier le scénario classique de l'étoile oubliée par les autres systèmes colonisés. J'y ai réfléchi un peu pour mes propres besoins et c'est un problème ardu parce que c'est très difficile de faire disparaître une étoile. L'étoile reste dans le ciel et dans les catalogues d'étoiles, et il faut donc éliminer l'association entre l'étoile à telle position et une identité spécifique. Dans le cadre d'une civilisation interstellaire d'un certain niveau, qui conserverait de bons catalogues et poursuivrait peut-être même des recherches astronomiques (si ce n'est que pour les besoins de la navigation), c'est extrêmement dur à expliquer par la distraction ou l'oubli. Il faut faire intervenir une volonté spécifique.
Ainsi, Alain le Bussy atteint au moins le premier degré de la SF et parvient à livrer un space opera honnête, mais sans plus. Là où ça devient le plus agaçant, c'est quand on a droit à la transcendance mystique de Varlo. Moi, les personnages surhumains, je trouve qu'il ne faut pas en abuser. D'ailleurs, c'est encore une fois difficile de faire mieux que Herbert, qui a exploré en profondeur la problématique des personnages transcendants. Je préfère les auteurs qui essaient de faire différent…
Je crois que je dois aussi prévenir les lecteurs potentiels que le roman s'achève sur une fin ouverte, qui pourrait annoncer des suites. Alors, si vous êtes rétifs aux séries, gare…