Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995
Kim Stanley Robinson : Future primitive: the new Ecotopias
anthologie de Science-Fiction inédite en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Roman écrit dans les années 70 par Ernest Callenbach, Ecotopia décrivait l'émergence d'une société plus respectueuse de l'écologie sur la côte Nord-Ouest des États-Unis. Callenbach est présent dans cette anthologie avec une nouvelle plutôt didactique, qui est le seul texte original du volume.
Kim Stanley Robinson a voulu réunir une sorte d'anthologie-manifeste, qui rende compte de la tendance de la SF à s'écarter des futurs technologiques et archi-urbanisés, de rigueur dans le genre jusque dans les années 60. Il s'agit d'envisager un futur qui emploiera sophisticated new technologies combined with habits saved or reinvented from our deep past. Un certain nombre de mouvements socio-politiques sont appelés à la rescousse, dont une deep ecology dont j'ignorais l'existence, et qui a peut-être donné son nom aux Deepers dont John Barnes se moque dans son roman la Mère des tempêtes.
Qu'une réaction bien compréhensible contre un excès d'urbanisation mène à l'idéalisation de la vie rurale, voire primitive, nous le savons depuis longtemps, mais aussi qu'une culture à bas niveau technologique est parfaitement capable de détériorer son environnement (pensez aux troupeaux de chèvres) — elle n'est sauvée de ses erreurs que par leur ampleur forcément restreinte.
Nous trouverons pourtant dans ce recueil plus d'une culture dont le primitivisme conduit à la violence, et à son corollaire — que les vaincus n'ont ni droit ni dignité — qui peut mener jusqu'à l'anthropophagie (cf. "'A Story', by John V. Marsch" de Gene Wolfe, "Rangriver Fell" de Paul Park, "Looking Down" de Carol Emshwiller). Moins cruellement, les humains glissent irrésistiblement à l'animal, ou fraternisent avec lui dans "Bears Discover Fire" de Bisson ou "In the Abode of the Snows" de Pat Murphy ; et Robert Silverberg, dans l'excellent "House of Bones", nous donne une image d'une culture préhistorique beaucoup plus humaine que ne se l'imagine son protagoniste, voyageur venu de notre époque.
Ce déferlement de primitivisme dépourvu de toute technologie (fût-elle écologique) est justifié au nom de l'expression du désir (mais que reste-t-il de la raison qui présidait à l'Utopie, et même en partie à la Science Fiction ?), puis plus franchement par le manque de textes appropriés. Et, avouons-le, les dates des textes révèlent aussi l'ancienneté de cette tendance à l'écologie, qui a connu un premier pic au début des années 70, et prend aujourd'hui des formes plus diffuses.
Si un auteur cherche souvent, dans son œuvre critique ou éditoriale, à retrouver la trace de ses propres préoccupations, force est de constater que Kim Stanley Robinson n'a pas su débusquer les émules de son excellent roman utopiste, Pacific edge. En particulier, le lien historique avec notre temps est presque toujours absent ou effacé — seul Callenbach répond au programme, mais son texte est tellement ennuyeux…
Robinson a aussi voulu éviter la dystopie anti-technologique, dont il donne cependant à titre homéopathique deux échantillons, "Hogfoot Right and Bird-hands", texte fort intéressant de Gary Kilworth, et "Newton's Sleep", une nouvelle d'Ursula Le Guin qui est beaucoup plus ouvertement idéologique dans sa dénonciation par le pastiche de la SF heinleinienne — cela tourne vite au sermon anti-technologique et, hélas, anti-rationnaliste.
Tentative intéressante, cette anthologie est à mon sens un échec au niveau de la cohérence des idées. Ce qui n'est peut-être pas plus mal, car l'art n'est sans doute pas fait pour les démonstrations, mais pour les tripes. Et, en l'occurrence, nous avons là une anthologie pleine de nouvelles excellentes, je pense en particulier à ces forgerons excentriques de mythologie américaine que sont Howard Waldrop et R. A. Lafferty ; et aussi à Rachel Pollack, dont le futur, ou plutôt l'Amérique parallèle, est pétri de magie et pourtant par certains côtés tout aussi autoritaire et bloqué qu'une société patriarcho-technologique — une révolution n'est jamais finie !
Le livre est complété par poèmes qui me laissent un peu froid… On pourra aussi regretter la présence d'un fragment de la Cinquième tête de Cerbère au lieu du très étrange "Tracking Song" du même Wolfe, et noter que bien des textes sont disponibles dans des recueils de leurs auteurs respectifs (j'ignore toutefois lesquels sont encore dans le commerce). Il s'agit nonobstant d'une sélection d'un excellent niveau littéraire.