Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995
Robert Reed : le Voile de l'espace
(Beyond the veil of stars)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.
La sonorité du titre original de ce dernier roman de Reed rappelle immanquablement celle d'un livre de Lovecraft, Beyond the wall of sleep (Par-delà le mur du sommeil) mais le cauchemar s'infiltre ici dans le rêve logique de la SF. Le cauchemar, pour nous qui avons vécu nos nuits sous les étoiles, nous voyant déjà aux commandes d'un astronef, c'est ce jour où les astres nocturnes disparaissent pour faire place à un ciel qui ne reflète plus que la surface terrestre. Illustration spectaculaire du demi-tour mental qu'a opéré le programme spatial ; il y a vingt ans, c'était encore le premier pas d'une exploration, de nos jours, on ne pense plus qu'à regarder la Terre d'en haut.
La nuit du changement, c'est un nouvel univers qui se révèle, avec une géométrie inédite (que Reed n'arrive pas bien à faire imaginer). Est-ce un signal d'intelligences supérieures qui partagent l'univers avec nous ? Cornell Novak et surtout son père, qui a consacré sa vie à la recherche des OVNI, veulent le croire, car les convictions de Papa Novak sont confrontées à des contemporains de plus en plus sceptiques.
Le roman s'attache au cours que prendra plus tard la vie de Cornell, employé d'une agence ultra-secrète (comme dans le Problème de Turing, on retrouve l'ambiance des Lawrence Livermore Laboratories et des piques contre l'espionnite et la bêtise des militaires, qui savent rarement gérer des problèmes scientifiques). Cornell rencontrera des extraterrestres — enfin, disons des intelligences non-humaines, puisque, comme le précédent roman de Reed, la Voie terrestre, ce n'est pas en traversant l'espace que l'on rencontrera l'Autre, mais en franchissant les barrières des univers.
Plus originaux que les humains modifiés du livre précédent, les étrangers du Voile de l'espace sont des intelligences pluri-corporelles. Cela donne lieu à des situations intéressantes, mais tout cela a été fait, et bien mieux, par Vernor Vinge dans son roman un Feu sur l'abîme ; Reed tombe même dans le vieux cliché de l'esprit-ruche, que la SF avait produit à l'époque du péril jaune puis de la guerre froide…
Tandis que la technologie est évacuée avec le corps du héros, le voyage dans les astres se transforme en voyage astral (dans un roman de SF pour jeunes, l'Aiguille du professeur Costigan, le même effet était obtenu avec une porte entre les mondes qui ne laissait passer que les organismes vivants), c'est l'aspect psychologique qui domine le roman : Cornell Novak, traumatisé par la marginalité de son UFOlogue de père, cocu notoire (seul Cornell ne s'en rend pas compte), prend sa revanche en rencontrant Porsche Neal, personnage féminin fort et quelque peu invraisemblable.
Comme toujours chez Reed, c'est bien fait, prenant, mais en refermant le livre — plus encore que pour la Voie terrestre — je me suis demandé ce qui le justifiait : ni l'argument purement scientifictif, ni le récit de l'évolution affective de Cornell ne m'ont paru particulièrement originaux.