Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995
Anne Duguël : Lavinia
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Micky Papoz
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Dans un futur presque immédiat, une nation de type occidental — on suppose que l'action se déroule en Grande-Bretagne — est dirigée par un dictateur qui a violé Tatoo, une jeune fille tondue au laser. De ses seins à son ventre, sa chair est tatouée à l'effigie du monstre.
Dans une gare, un groupe de nantis monte dans un train qui les emporte au Majestic-hôtel, réservé à une certaine élite. Dans les salons se côtoie une faune fellinienne à laquelle ne manque même pas une veuve pulpeuse qui tente de séduire le vieux Sir Henry. L'homme résiste à l'appel de la coquette. Il n'aimait que Lavinia, mais Lavinia est morte.
Au fil des pages on apprend que les pensionnaires de l'hôtel ont payé fort cher une forme d'euthanasie. Ils se consultent longuement avant de choisir le plat coûteux de leur ultime repas soporifique avant le repos éternel.
Ailleurs, de peur des représailles, le peuple se soumet au tyran qui se débarrasse des éléments jugés “improductifs”. Sont éliminés les trop vieux, les malades, les déments et autres exclus de cette société décadente. Tous servent à nourrir les autres. Hommes, femmes et enfants sont entassés jusqu'à l'étouffement dans les wagons du métro qui se dirigent vers l'usine à tuer. Il est impossible de ne pas évoquer ce qui se passa en Europe cinquante ans en arrière. Ici les uniformes ne sont pas vert-de-gris, mais écarlates comme le sang des victimes. L'inertie des condamnés est semblable à la morne résignation de ceux qui furent par millions sacrifiés. L'épuration est aussi ignoble. Pourtant il y a toujours pire au sein de ces sombres royaumes.
En lisant ce roman on ne peut éviter également d'évoquer Soleil vert où l'anthropophagie était nécessaire pour préserver l'humanité. Nombreux aussi furent les auteurs qui célébrèrent le plaisir coupable de la chair humaine dégustée par gourmandise. Me reviennent en mémoire Le dossier Atrée de G.-J. Arnaud, paru dans la défunte collection "Angoisse", Rituel de chair de Graham Masterton, chez Presses Pocket et Mauvaise chair de Denis Leroux, dans la présente collection "Frayeurs".
Lavinia est complètement différent de tous ces romans. Plus bouleversant, car proche d'une réalité qui ne peut que faire frémir le lecteur, lequel ne pourra s'empêcher de se poser des questions sur notre avenir et la montée d'une extrême-droite qui prône une certaine ségrégation. Avertissement de l'auteur ? Je l'ai entendu ainsi. Je me suis sentie également touchée par la tendresse qui se dégage de ces pages où pourtant rien n'est épargné.
Avec ces annales du désespoir, Anne Duguël vient de donner ses lettres d'or à la collection "Frayeurs".
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 13-14.