Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995
Alain le Bussy : Soleil fou
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel
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On discute souvent de la direction littéraire en France et de sa compétence. Or, voici un livre qu'une collection de science-fiction digne de ce nom aurait dû renvoyer illico à l'auteur en lui demandant de consulter quelques manuels d'astronomie (tout comme, ironiquement, ses personnages consultent des ouvrages d'astrographie dans le récit) et de faire un peu de recherche pour rendre la situation plus crédible… La dédicace est en anglais et rend hommage à l'auteur américain Poul Anderson. Or, plus ironique encore, si Anderson a écrit plusieurs textes de ce genre, où une catastrophe astronomique menace une planète entière, il n'en a jamais écrit un semblable à Soleil fou, car il savait fort bien que la situation initiale était impossible. Deux histoires de catastrophe au moins s'inscrivent dans l'univers de la Ligue polésotechnique ; l'une a pour héros Flandry et l'autre l'équipage du vaisseau Muddling' through, mais il s'agit soit de la supernova d'une étoile géante voisine soit d'une éruption stellaire démesurée provoquée par l'impact d'une planète vagabonde. Anderson n'aurait jamais décrit un soleil seul se transformant en nova…
En effet à l'inverse de ce qu'on pensait il y a cinquante ans ou plus, une étoile simple ne peut donner lieu à une nova destructrice. Depuis la fin des années 50, les astronomes savent que les novas sont uniquement le fait de systèmes binaires d'un genre particulier. Une fois de plus, Alain le Bussy a près de quarante ans de retard quand il montre le soleil de la planète Holdigos se transformant en nova. La couverture qui montre l'unique soleil de ce monde, en proie à une folie soudaine, est donc une belle œuvre de l'artiste Guy Roger, mais une œuvre erronée.
L'histoire de Soleil fou rachète-t-elle le vice de fabrication initial ? Non. Même si elle est bien menée et se laisse lire sans désagrément notable, il ne s'y trouve rien de nouveau (sauf cette idée de voyants qui périssent immanquablement si le futur qu'ils ont vu ne se réalise pas, ce qui soulève plus de questions que d'émerveillement). Le monde des Harrunni est une colonie de l'empire humain. S'y sont installés quelques fonctionnaires et planteurs (vision coloniale qui a aussi quelques bonnes quarante années d'âge). Quand les humains se rendent compte de l'imminence de la nova, ils n'ont plus que le temps d'évacuer les leurs, à l'insu des Harrunni si possible. Les astronefs manquent et ce serait impossible d'évacuer toute la population harrunni.
Néanmoins, grâce à leurs voyants, les Harrunni apprennent eux aussi l'imminence de la nova et, dès lors, de multiples factions convergeront sur le dernier astroport humain pour s'emparer d'un astronef et s'enfuir dans l'espace. (L'existence des voyants harrunni est très commode, mais on se demande pourquoi leur vision du futur est si limitée que tous ne prévoient l'explosion de la nova, phénomène pourtant capital pour leur espèce, qu'à peine un moins avant l'événement, alors qu'il reste décidément trop peu de temps pour organiser une évacuation massive… Quand donc apprendra-t-on que les pouvoirs paranormaux introduisent plus de paradoxes et de problèmes qu'ils n'en résolvent, du point de vue de l'intrigue ?). Les démêlés d'un clan spécifique retiennent l'attention du lecteur, ainsi que leurs combats, stratégies et retournements d'alliance.
Si le Bussy s'était appuyé sur un phénomène réel de l'astrophysique, le roman gagnerait peut-être une certaine beauté tragique grâce à l'éternel contraste entre la chair et la grandeur illimitée de l'Univers pour qui la vie n'est que la passagère bouffée blanche de l'haleine d'un bison, l'hiver… En l'état, le lecteur reste sur l'impression d'un gâchis indicible. Ecrire un roman sur la panique qui s'empare des passagers d'un bateau sur le point de couler, c'est déjà une gageure. Le faire quand le bateau est censé avoir été coulé par un iceberg de gélatine (ce qui est à peu près aussi grotesque que cette nova inexpliquée et inexplicable), c'est vraiment risquer de se rendre ridicule.
Mais bien sûr, les auteurs français n'ont pas à se préoccuper de physique ou de réalité puisque leurs lecteurs ne s'intéressent qu'aux descriptions ou au style ou à la charge idéologique… Voyons, tous les directeurs littéraires le savent, et ils ont toujours raison, bien entendu.