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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 15 la Pierre rouge

Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995

Hanne Marie Svendsen : la Pierre rouge

(den Røde sten)

roman fantastique pour la jeunesse ~ chroniqué par Micky Papoz

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Depuis le xive siècle, le rat est considéré comme le plus nuisible et le plus inquiétant des animaux. Entre 1347 et 1352, la peste bubonique (propagée en réalité par les puces du rat noir) décima vingt-cinq millions d'européens. En Inde, durant l'automne 1994, cette maladie créa une panique et un exode massif. Le thème du rat est donc loin d'être épuisé par les auteurs, voyez par exemple James Herbert et sa trilogie sur L'Empire des rats (publiée également chez Pocket, collection "Terreur").

La légende du meneur de rats est donc une fois de plus exploitée et remise au goût du jour, par une romancière danoise, dont il est dit en préface « qu'elle sait tisser de rêve et de magie les histoires les plus réalistes ». Il est certain que dans ce roman le quotidien, teinté d'une forte dose de fantastique, se voit également imprégné de merveilleux grâce à l'intervention du baron Arthur, un gnome qui affirme être le petit-fils du roi des chats. Amoureux de Viva, une rate dont il espérait faire sa reine, il s'est lancé sur les traces de Chanda, le magicien qui l'a enlevée.

Ici, le mauvais esprit, cher au conte de fées, est représenté par le charmeur de rats qui prétend, non sans un certain bon sens, "qu'il y a un rat en chaque humain". Comme la reine-sorcière de Blanche-Neige, il tente tout d'abord de captiver une fillette pour mieux l'anéantir.

Dans une maison face au débarcadère où sont déchargées les caisses de poissons vivent Marie, sa grand-mère, ses parents, sa tante Anna et son cousin Cyril, paralysé et incapable de parler depuis qu'il fut mordu, au cirque, par un rat dressé par Chanda… qui est aussi cet homme inquiétant hante les quais, ourdissant contre les humains la révolte des rats.

Le baron Arthur, farfadet surgi de la cave, raconte à Marie qu'il vient pour l'aider à guérir son cousin, mais ses véritables motivations sont moins altruiste, et Cyril est un pion capital dans la lutte. Comme le criquet de Pinocchio, (roman italien dû à Carlo Collodi en 1878), Arthur devient la conscience et la volonté de la fillette. Le récit, où l'on retrouve une morale traditionaliste, manifeste de la même façon une certaine fantaisie qui n'est pas sans cruauté.

Dans la Pierre rouge, le monde bénéfique et délétère du fantastique voisine avec l'univers inconstant du quotidien où s'activent nombre d'êtres maléfiques représentés par les rats et leur maître. Le merveilleux traditionnel, (fée et baguette magique) est abandonné au profit d'un univers où foisonnent les angoisses de la réalité, (description des quais empuantis par les caisses de poissons ; débarcadère déserté où ne vivent que les plus démunis, les rats foisonnent, et hormis la compagnie d'un chat errant, on s'apitoye sur la solitude de la fillette sans amis). Le rôle de Marie s'efface au profit de celui du gnome, forte personnalité orgueilleuse et autoritaire. Il raconte sa vie, cherchant à éblouir Marie par ses titres et son ascendance. Son récit semble un tissu de délire et d'inventions, mais peu à peu la fillette est persuadée, comme le lecteur, que le petit baron dit vrai.

L'histoire ouvre les voies de l'ambiguïté propre au fantastique tel que le concoivent certains auteurs du genre : merveilleux, rêves et mystères se fondent dans ce roman qui exalte la folie d'un magicien, dont la seule ambition est de régner sur l'humanité.

L'auteur a utilisé la technique livrée par Prosper Mérimée dans son essai sur Gogol : « commencez par des portraits bien arrêtés des personnages bizarres, (Arthur et le magicien), mais possibles ; et donnez à leurs traits la réalité la plus minutieuse. Ainsi du bizarre au fantastique, la transition est insensible et l'auteur peut jouer de l'organisation tragique de son récit pour le faire admettre à son lecteur ». Grâce au baron Arthur, Marie en arrivera à comprendre que si son cousin reste muet, c'est qu'il est le détenteur d'un secret qu'elle doit lui faire avouer à tout prix. Dans ce passage le fantastique est employé comme une arme contre les certitudes rationalistes des parents persuadés que seule la science peut guérir le jeune garçon.

L'empreinte du folklore est indéniable, mais bien que la romancière ait puisé la trame de son récit dans un conte populaire, son écriture réaliste ne disparaît pas au profit d'une débauche d'images qui surchargerait l'histoire de trop de poésie. Le roman imprégné d'une angoisse diffuse ne pourra que ravir les jeunes lecteurs qui en seraient restés au féerique, où le surnaturel semble aller un peu trop de soi.