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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 16 Altneuland

Keep Watching the Skies! nº 16, janvier 1996

Francis Valéry : Altneuland

roman de Science-Fiction par nouvelles ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Francis Valéry, l'écrivain, est trop souvent occulté par la figure imposante de Francis Valéry, le libraire, éditeur, dirigeant de revue, critique, bref, homme-à-tout-faire de la SF française. Son œuvre littéraire ne se construit qu'en détours, en coups portés en marge de l'échiquier. Raison de plus pour ne pas négliger son dernier ouvrage, paru aux Editions de l'Hydre, qui confirment ainsi (après la publication par épisodes d'un roman de Roland Wagner) une vocation moins frivole que celle qu'on leur connaissait.

Altneuland est, affirme la couverture, un récit ; raconté sous une forme que l'on pourrait baptiser “roman épisodique” ou “cycle de nouvelles”. La deuxième description semble mieux convenir ici, car si quelques personnages, ou plutôt quelques familles, servent de fils conducteurs, les protagonistes changent d'une nouvelle à une autre ; plus encore, ambiances et motivations varient énormément.

Au centre de tout cela, il y a bien sûr le Projet, l'entreprise consistant à envoyer un voilier solaire vers Alpha du Centaure pour une possible colonisation. Du point de vue SF, l'idée est rebattue ; l'originalité — annoncée par le titre — tient au contexte politique : le voilier est financé par une organisation sioniste.

Le problème, pour moi, est que Francis Valéry, s'il manie bien le paradoxe du sionisme devenu nationalisme (et cherchant à retrouver une dimension utopique, universaliste), ne me donne pas une impression de profondeur de vision de l'histoire juive. Il s'attaque par contre avec courage aux problèmes du Proche-Orient contemporain.

Plus grave encore : on ne fait que tourner autour du centre de l'histoire, comme si au centre n'était qu'un creux. A l'exception du chapitre 3, "Mihrab", les nouvelles se consacrent aux sentiments et à la biographie des personnages présentés (trop nombreux pour un aussi mince volume ?), et les événements majeurs se déroulent en coulisses. Le chapitre 5 en fournit un exemple flagrant. D'où une impression d'escamotage. Dans le chapitre 4, "Elohim", le plus long, et le seul où le pivot de l'affaire soit techno-scientifique, les chose se règlent à la hussarde… je dirais même à la Bob Morane : « Il n'y a qu'un seul moyen de lever l'incertitude sur la situation de Kaldoun et de son équipe : y aller voir » (p. 84), et il y va, sans trop se préoccuper de savoir si le même sort ne l'attend pas…

Certes, Valéry s'est montré ces temps derniers Moranophile averti, mais il devrait se garder de laisser ses intérêts du moment trop envahir son œuvre. Exemple : le début du livre regorge de notations de jardinage dont la technicité laisse rêveur. Depuis, je sais que Valéry s'est repris de passion pour la philatélie, et je n'ose imaginer les nouvelles de SF qu'il va écrire d'ici quelque temps…

Si je suis déçu par le manque de substance globale du livre, il faut lui reconnaître une grande sensibilité, et un soin d'écriture qui marque un progrès par rapport aux précédents. Même si certains procédés stylistiques (comme les inversions de mots) sont utilisés à l'excès. Un livre que le lecteur curieux voudra mettre à l'épreuve.