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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 16 CyberDreams 03 & 04

Keep Watching the Skies! nº 16, janvier 1996

Francis Valéry : CyberDreams 03 : Futurs au quotidien

revue de Science-Fiction

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Francis Valéry : CyberDreams 04 : Génies génétiques

revue de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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On aurait pu craindre que le parti-pris d'une anthologie qui renouvelle sa thématique une fois par trimestre conduise assez vite CyberDreams dans l'impasse, ou contraigne la série à décider si elle se voulait revue (et moins ciblée) ou anthologie (et moins fréquente). Les troisième et quatrième livraisons évitent ces deux écueils, avec astuce dans le cas du numéro 3, et avec brio dans le cas du numéro 4.

Côté anthologie, le numéro 3 propose cinq textes que le prosaïque des situations mises en scène fait osciller de l'humour à l'émotion. A l'extrémité loufoque du spectre, nous retrouvons Serge Delsemme avec "Voyage organisé", qui se veut peut-être sheckleyien, mais outrepasse tant les règles de la vraisemblance SF (mélangeant allégrement système solaire et galaxie) qu'il en devient pénible à lire. "Authenticité" de Mark Rich et "Dédicace" de Jerry Oltion reposent chacun sur une astuce, isolée et habilement montée en épingle pour Oltion, pressée jusqu'à la dernière goutte d'agacement par Rich, qui signe sans doute le texte le plus faible du numéro 3.

Heureusement qu'il reste deux textes qui, situés sur le versant émotionnel du quotidien, dominent le volume : "Bon séjour au CLMK", dans lequel Eric Brown traite un sujet tragique (un homosexuel mourant du sida) avec une maturité impressionnante au regard de ses premiers textes, écrits cinq ans auparavant ; et "la Voix du sang" de G. David Nordley, qui est révélateur des penchants presque larmoyants d'une partie de la hard science fiction. Retraité de l'Air Force, Nordley est, comme Charles Sheffield, un “parfait écrivain campbellien”. Pourtant toute la tension de son texte provient de la tentative du protagoniste, bridé par le manque de moyens financiers, pour retrouver une trace de son père qu'il n'a jamais connu.

On peut penser que cette nouvelle est par certains côtés aussi anecdotique que celle de Jerry Oltion : elle aussi se résoud par une astuce, mais une astuce technologique un peu plus compliquée que celle de "Dédicace". Ce qui m'a fasciné est le rôle qu'y joue la technologie. Des techniques ultra-modernes ont pour but le sauvetage d'un dinosaure technique, un 78 tours cassé — voilà qui va droit au cœur de l'amateur de vinyl que je suis, et qui rappelle l'attachement viscéral du fandom américain pour les fanzines imprimés à l'aide de vieilles Gestetner, en notre âge de PAO et de photocopie à bon marché.

Tout cela est plus logique qu'il n'y paraît : l'amateur de SF prend plaisir aux détails de la technologie. Ces détails, cette complication, deviennent une forme d'art quand on s'y acclimate. On en vient à regretter tout ce qui rend cette technologie moins lisible, même si le changement (du vinyl remplacé par le CD, de la ronéo remplacé par les photocopieurs) a pour effet de faciliter la vie à l'usager. Et puis, un disque cassé, ça fait autant pleurer dans les chaumières SF que la vaisselle brisée du Réparateur de Pots Galactique de Philip Dick…

Les trois textes proposés par le numéro 4 se situent au cœur des sciences du vivant. Il est vrai que la SF contemporaine affectionne ce thème, et qu'il sert de point de départ à beaucoup d'excellents textes. De façon remarquable, aucun de ceux qui nous sont proposés n'est l'œuvre d'un Américain : Francis Valéry et Sylvie Denis ont pêché ici deux Britanniques et un Australien, les premiers dans les pages d'Interzone (magazine que Sylvie Denis a l'immense mérite de connaître sur le bout des doigts), le dernier de celles d'Asimov's science fiction, mine suffisamment riche pour ne pas être épuisée par les anthologies de qualité publiées chez Pocket.

Chacun des trois auteurs sait mêler trouvailles et émotion. Chez Bob Shaw, c'est celle-ci qui prend le devant, avec le drame d'un pasteur qui voit mourir son enfant et refuse les techniques biologiques qui auraient peut-être, dans un avenir incertain, permis de le sauver.

Brian Stableford, lui, donne dans l'humour satirique : son personnage central est un génie, convaincu de pouvoir faire le bonheur de l'humanité… et dont les desseins sont frustrés par les machinations vénales de son directeur du marketing. L'arsouille nous raconte l'histoire en se donnant le beau rôle, mais finalement, les gens malhonnêtes sont trop occupés à leur profit personnel pour faire beaucoup de mal à l'humanité.

Greg Egan, chouchou de l'équipe rédactionnelle, est responsable du texte le plus intéressant et le plus long. Ce n'est pas une coïncidence : il lui faut les coudées franches pour développer à la fois un argument pseudo-scientifique, mais d'une grande vraisemblance, et une réflexion sur, disons, le droit à la différence (vu en opposition à ce que d'autres considéreraient comme le droit à la santé). Un sujet qui fait le pont entre l'émotionnel — le plan personnel — et le plan politique. Ajoutez à cela une intrigue de type “roman noir”, qui malheureusement fait un peu plaquée. Non que cette intrigue ne fonctionne pas, l'histoire est tout-à-fait prenante, mais elle ne me paraît pas à la hauteur des thèmes et des émotions qui sont évoqués, et c'est la seule faiblesse que j'aie pu relever jusqu'à présent chez Egan, auteur remarquable.

Côté revue, CyberDreams nous donne comme à l'accoutumée les nouvelles brèves collectées par Francis Valéry. Pascal J. Thomas signe (numéro 3) un article qui devrait être le premier d'une série plus ou moins régulière de chroniques scientifiques.

Les critiques littéraires sont d'un haut niveau, avec Dominique Warfa sur la SF française (numéro 3) et sur le langage du cyberpunk (numéro 4), même si cet article est victime du haut niveau des espoirs suscités par son introduction — la conclusion m'a laissé sur ma faim. Sylvie Denis attaque les Racines du mal de Maurice G. Dantec sous un angle comme toujours inattendu et informé.

Bref, dans le domaine de la SF en français, Cyberdreams est la revue intéressante du moment. Ce qui ne signifie pas qu'on ne lui souhaite pas de concurrence : la comparaison serait stimulante.