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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 16 Jardins virtuels

Keep Watching the Skies! nº 16, janvier 1996

Sylvie Denis : Jardins virtuels

recueil de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Pendant des années, les vétérans de la SF française ont intégré un discours désespéré sur le manque dramatique de débouchés, en particulier pour ces textes courts qui permettraient aux auteurs en herbe de faire leurs premières armes.

Si une hirondelle ne fait pas le printemps, reconnaissons que ce premier livre et premier recueil de Sylvie Denis, composé de cinq nouvelles dont quatre semble-t-il inédites, est un solide rayon de soleil à travers les nuages.

Il est certain que Denis ne s'inscrit pas dans les thèmes habituels de la SF française. Même quand ses protagonistes plongent dans des univers virtuels, c'est pour y rencontrer d'autres gens — en forçant le trait, on pourrait dire que dans l'univers hallucinatoire typique d'une certaine SF française de la fin des années 70, on pouvait croiser une galerie de personnages qui n'étaient que des déclinaisons des aspects de l'unique protagoniste, alors que dans "De Dimbour à Lapêtre", trois jeunes femmes apparemment semblables révèlent des personnalités bien distinctes.

Si elle joue avec l'identité, avec des doubles (dans "Elisabeth for ever"), l'essentiel du propos de l'auteur n'est pas introspectif. Je dirais qu'elle combine une vive perception des développements les plus à la mode de la SF américaine (univers virtuels de l'informatique, habitats de l'espace) avec un rendu incomparable de la texture de la vie quotidienne (nourriture, maquillage, vêtements). Et ses protagonistes sont souvent des jeunes femmes ou des adolescentes… ce qui ne surprend pas si on prend en compte l'auteur, mais n'a pas toujours été exploité habilement en science fiction. Ici, Denis se démontre écrivain accompli dans les destins qu'elle évoque en quelques pages, raccourcis entre enfance et espoirs (ou désenchantements ; "In memoriam : Discoveryland" est particulièrement réussi de ce point de vue-là).

L'adolescente denisienne entretient avec son corps des rapports ambigus. J'ai été frappé par le retour dans ce recueil de la menace (ou promesse ?) d'une perte physique du corps, pour finir transformé en cerveau auxiliaire d'un système informatique, un thème qui avait été illustré par Anne McCaffrey dans un de ses rares bons livres, le Vaisseau qui chantait.

D'autre part, et je ne peux m'empêcher d'imaginer qu'il y a un rapport entre les deux thématiques, les protagonistes, si elles se souviennent de leur enfance, éprouvent une attraction mêlée de répulsion à l'égard des fillettes plus jeunes, entre petites sœurs et enfants, alter egos potentiels avec ce que cela comporte de menace et de promesse. Même quand les enfants sont absents, leur absence se fait sentir (le parc d'attraction désert de Discoveryland, l'école désertée de Dimbour).

Aucun de ces cinq textes n'ennuie le lecteur ; j'ai trouvé que "la Fonte des glaces", malgré l'originalité de ses situations, souffrait un peu de ne pas aborder les thèmes de prédilection des autres nouvelles du recueil ; alors que "Elisabeth for ever" et "l'Anniversaire de Caroline" sont deux chefs-d'œuvre, le deuxième en particulier alliant l'habileté dans la narration, le frisson de l'intensité des sentiments, et la perfection de la conclusion.

Les lecteurs de KWS verront sans doute en Sylvie Denis le critique, fondateur de notre revue par amour du discours sur les livres de SF ; ses textes parus dans les fanzines avaient en général été remarqués — ce recueil, encore plus impressionnant dans la constance de sa qualité, signe la naissance d'un auteur à ne pas manquer.

Notes

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 48 & dans KWS 48.

››› Voir également l'éditorial du KWS 18.