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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 48 Jardins virtuels – 1

Keep Watching the Skies! nº 48, janvier 2004

Sylvie Denis : Jardins virtuels

recueil de Science-Fiction ~ chroniqué par Philippe Paygnard

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Dans ma liste d'auteurs francophones dont je ne veux rater aucun texte, Sylvie Denis arrive en très bonne place. En effet, chacune de ses nouvelles est un admirable petit bijou que l'on peut lire et relire sans craindre la moindre déception.

Cette édition révisée et augmentée de Jardins virtuels [1] réunit ainsi douze textes publiés dans divers magazines et recueils, entre 1988 et 2000, avec, ô bonheur suprême, un inédit en bonus : "Si Thébaldus rêve…". Comme le titre l'indique plus ou moins, le point commun des treize textes présentés dans ces Jardins virtuels est qu'ils s'intéressent tous à un futur possible, plus ou moins lointain. On ne retrouve donc pas dans ce recueil les récits steampunk de Sylvie Denis, pas plus qu'une récente escapade lunaire du locataire de Baker Street [2].

L'aspect prospectif des nouvelles réunies ici est par ailleurs amplifié par la référence régulière à des faits de société tirés, le plus souvent, de l'actualité récente. Les avancées de la médecine, de l'informatique ou de la science en général, comme les dérives de notre société, donnent matière à Sylvie Denis pour construire ses récits. Le thème du clonage revient ainsi dans plusieurs de ses textes, notamment "Élisabeth for ever" et "De Dimbour à Lapêtre", mais Sylvie Denis l'aborde de façon très personnelle, en s'interrogeant tout autant sur les conséquences sociales qu'individuelles du clonage. Surtout, elle le fait à travers des personnages d'une grande humanité qui se trouvent en quête de réponses et à la recherche de leur identité.

Au fil des nouvelles, on découvre le héros denisien type. On constate d'ailleurs très vite qu'il ne s'agit pas vraiment d'un héros et que ce n'est pas souvent un homme. Même si le narrateur de "Fonte des glaces" est un jeune homme et les héros de "Cap Tchernobyl" sont un garçon, son père mourant et un robot, la majorité des personnages principaux de Sylvie Denis sont de sexe féminin. Ce sont des jeunes filles ou des femmes qui doivent faire face à leurs peurs ou à leurs espoirs déçus. Elles sont donc souvent en proie au doute et l'existence de telles failles dans leur carapace littéraire les rend bien plus humaines que de nombreux personnages de fiction.

D'ailleurs, l'ordre de présentation des textes semble avoir été pensé pour mettre en évidence la progression logique du personnage denisien. On suit ainsi l'évolution de la petite fille rebelle de "Dedans, dehors" qui tente de fuir l'Enclave des Chevaliers Blancs d'Europe jusqu'à Célia, la femme qui cherche le remède à la maladie de Maid-Marzel dans "Nirvana, mode d'emploi", en passant par Arielle, l'adolescente qui attendait Peter Pan dans "In memoriam : Discoveryland".

Même lorsque Sylvie Denis embarque ses lecteurs dans un space opera dans la banlieue du système solaire, c'est bien évidemment à sa façon unique. La détective de l'espace Johanna Epstein devrait être une femme d'action, mais elle se révèle pleine de contradictions dans un monde plus complexe qu'il n'y paraît. Même si les nouvelles "Magma-plasma" et sa suite "Paradigme party" ont l'apparence d'aventures spatiales pleines d'action et de rebondissements, elles se révèlent être source d'une saine réflexion. On y retrouve ainsi quelques-unes des thématiques chères à Sylvie Denis, des clones dont certains n'ont plus forme humaine, mais aussi des intelligences artificielles dont certaines, à l'inverse, prennent corps. Ces nouvelles parlent de l'humanité au-delà des apparences et des risques d'aliénation de l'être humain par la technologie. Autant de thèmes classiques dans l'univers de la Science-Fiction qui se trouvent rarement traités avec une telle élégance et une telle efficacité.

Véritable introduction à l'œuvre de Sylvie Denis, ces Jardins virtuels ne peuvent que donner l'envie de découvrir l'intégralité des textes parus et à paraître de la nouvelliste. Ces bouts d'univers et ces fragments de vie donnent aussi l'envie d'en découvrir plus et font forcément se poser la question : à quand le premier roman [3] de Sylvie Denis ?

Notes

[1] La première mouture de Jardins virtuels a été publiée en 1995 par DLM dans la collection "CyberDreams". Cette version ne contenait que cinq textes : "l'Anniversaire de Caroline", "Fonte des glaces", "In memoriam : Discoveryland", "De Dimbour à Lapêtre" et “Élisabeth for ever”.

[2] On peut cependant retrouver "l'Assassinat de la Maison du Peuple" dans l'anthologie Futurs antérieurs (Fleuve noir, 1999) et Sherlock Holmes dans "l'Aventure de la cité ultime" (Bifrost 24, octobre 2001).

[3] Certes, Sylvie Denis a déjà signé avec l'Invité de verre (DLM, 1997) ce que l'on peut appeler, techniquement, un premier roman. Mais, ce galop d'essai se trouvait soumis aux contraintes de la série l'Agence Arkham dont il constituait le quatrième épisode. À ce titre, il ne permettait pas de retrouver dans la romancière en herbe d'alors les qualités maintes fois démontrées par la nouvelliste.

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 16 & dans KWS 48.

››› Voir également l'éditorial du KWS 18.