Keep Watching the Skies! nº 18, avril 1996
Erik Orsenna : Histoire du monde en neuf guitares
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric J. Blum
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30 décembre 1999. Une unique question préoccupe l'humanité : où va se dérouler le concert réveillon que tout le monde attend ?
Pendant ce temps, dans la vallée de l'Omo, là-même où l'on découvrit quelques années plus tôt le squelette fossile de la célèbre Lucy, un “vieil archéologue” est occupé à gratouiller le sol à la brosse à dents, lorsque se présente, au volant d'un 4x4, un certain Clapton, dont le bagage se limite à une guitare. Les deux hommes conversent. Le premier — dont le nom n'est jamais écrit mais en qui l'on reconnaît sans peine Coppens — confie que son rêve serait de voir apparaître dans cette vallée perdue de l'Afrique, tous les descendants de la petite Lucy.
Et la nuit de tomber. Le guitariste de se mettre à rêver aux vies antérieures qui furent les siennes : uniquement des vies de guitaristes, de celui qui inventa l'instrument au temps des pharaons, à celui qui en fit le symbole de la génération qui trouva son identité dans la boue de Woodstock.
Et les rêves de Clapton de devenir sous la plume d'Erik Orsenna autant de courtes scènes d'inégal intérêt — l'auteur est moins mauvais dans la mise en scène d'une singulière leçon de guitare à la cour de Louis XIV ou d'un duel musical et galant entre Paganini et son guitariste accompagnateur, que dans l'évocation du Voodoo Chile.
Et ce qui devait arriver arriva : au matin, Clapton et le vieil archéologue assistent à l'arrivée de tous les personnages historiques rêvés par le guitariste. Il y a même des invités imprévus tel ce quatuor de Liverpool — imprévus et un peu en retard, car George, Paul et Ringo ont eu du mal à retrouver John. Un seul absent de marque : Jimi lui-même. Parti trop loin, il ne pourra hélas jamais revenir. Et le concert du siècle, que dis-je, du millénaire, de se dérouler sous les étoiles africaines, en hommage à Lucy (dans le ciel, avec des diamants…).
Idée banale que celle du retour des rock stars — et souvent traitée par des auteurs de Science-Fict : on ne compte plus les come-back d'Hendrix, Morrison ou Lennon ! Banale mais toutefois sympathique. Pour autant qu'elle soit exploitée avec talent, ce qui n'est pas vraiment le cas dans cette Histoire du monde en neuf guitares. L'écriture est quelconque, le style absent, la construction brouillonne, les incohérences en nombre. Présenter Django Reinhardt ou Jimi Hendrix comme des “vies antérieures” d'Eric Clapton n'a pas grand sens. Sans compter que l'auteur ignore visiblement à peu près tout des mythes qu'il a le culot de mettre en scène : stratocaster s'écrit sans trait d'union, Clapton étant anglais, son prénom s'écrit sans accent aigu, le bassiste d'Hendrix ne s'appelait pas Bill Cose mais Billy Cox. Croire enfin qu'une jam session (“bœuf” en français) entre Clapton et les Beatles est l'événement attendu par toute une génération est méconnaître singulièrement les coulisses de la scène rock anglaise des années soixante, où de telles rencontres étaient banales. Clapton a même accompagné Lennon dans la formation du Plastic Ono Band et il figure par exemple sur le disque Instant Karma.
Bref, avec ce petit livre — ce tout petit livre : sur ses 120 pages, 19 sont blanches… le texte lui-même n'occupe qu'à peine plus de 90 pages — on est loin, mais vraiment très loin, des "Bricoles" que signait il y a vingt ans Philippe Paringaux dans Rock'n'Folk ! Que l'on se souvienne et que l'on relise par exemple cette nouvelle-hommage à Dylan, et belle à couper le souffle qu'est "When I Paint my Masterpiece" ! Que l'on se reporte aussi aux écrits d'un certain Alain Dister. Par comparaison, Orsenna n'est même pas un nain. Il n'est rien.
Ou plutôt si, il est le directeur de la collection dans laquelle il s'est auto-pub ! Il est donc à craindre que personne n'ait relu et corrigé son manuscrit avant auto-acceptation. D'où ce goût de premier jet hâtivement rédigé, insuffisamment relu, et non confronté à un regard critique extérieur. Rédacteur de discours pour homme politique sans idée, invité régulier aux séances de cirage de pompes télévisuelles, désormais petit directeur d'une petite collection, Erik Orsenna possède plus d'une corde à son arc. Peut-être un jour parviendra-t-il à décocher ses flèches avec quelque justesse…