Keep Watching the Skies! nº 18, avril 1996
Michel Ruf : le Tableau cinq
court roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
Curieuse initiative que la publication sous le label sybillin de "Parcours Grec 96" de ce court roman de SF par un éditeur dont la force motrice semble être Michel Ruf — fanéditeur notoire de la fin des années 70 —, désormais basé dans un lycée technique, et parrainé par des entreprises locales (Pierron et le Crédit Mutuel de Sarreguemines). Le livre est accompagné de cinq cartes postales des tableaux autour desquels tourne l'intrigue de la novella, tandis que son “illustration sonore” est créditée au groupe Poches. Le même éditeur annonce la sortie d'une collection de six romans (de 32 à 64 pages), "Parcours Poche", que l'on peut commander dans son intégralité pour 30 FF, et qui est censée nous faire découvrir « les écrivains de demain ».
Je ne m'attarderai pas aux tableaux d'Eloïse Hartheiser — leurs couleurs sont vives et leur exécution naïve. Plus important, ils incarnent le pivot du roman le Tableau cinq, qui se déroule dans un futur lointain où l'humanité, à la suite d'une série de catastrophes, a en majeure partie perdu la faculté de la vision de l'univers tridimensionnel, et doit s'en remettre aux tableaux des Peintres pour avoir accès à la réalité. En découle une organisation sociale centrée sur l'Exposition annuelle qui décide, suivant le vote des citoyens, de quel Peintre est le meilleur — et se verra attribuer le contrôle du système.
Le protagoniste est Phaestos, vieux professeur de peinture, amoureux de Ioannis, élève surdoué et seul espoir de résistance à la séduction démoniaque de Démétrios, favori de la prochaine Exposition…
Force est de constater que l'exposition plutôt maladroite (les informations sont communiquées au travers d'une suite de dialogues ad hoc) mène à se poser des questions sur la cohérence d'un univers où la débauche de technologie qui a transformé la pratique de la peinture [1] côtoye des conditions de vie plutôt frustes, adaptées à l'ambiance hellénique. Cette même ambiance doit, je suppose, expliquer l'androgynie de l'humanité rescapée, touche bizarre et peu exploitée dans le texte. Wintrebert avait fait un effort plus conséquent dans le Créateur chimérique, mais il ne serait pas juste d'en réclamer autant d'une novella.
On serait pourtant en droit d'en exiger un meilleur développement des relations entre personnages — relation amoureuse entre maître et élève, et perfidie de Démétrios, sont posées comme des données et n'évoluent pas — ainsi que plus de surprise dans l'intrigue, linéaire et inachevée. Pour ce qui est de l'ambiance grecque, Jean-Pierre Hubert avait fait beaucoup mieux dans les Faiseurs d'orages. Ce court roman de Michel Ruf, quoiqu'imaginatif et pas mal écrit, ne me convainc pas.
Notes
[1] Il semble que son but soit la production d'images 3D comme la vogue s'en est répandue depuis quelques années, mais le texte n'est pas explicite sur ce point.