Keep Watching the Skies! nº 21-22, septembre 1996
Richard Canal : la Malédiction de l'éphémère
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard
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J'ai été surpris de constater qu'il ne soit pas fait mention de ce que ce roman est une version “corrigée” de celui paru sous le même titre aux éditions de La Découverte en 1986 — peut-être ces dix ans représentent-ils la mesure de l'oubli [1].
J'ai écrit version “corrigée” parce que Canal n'a rien changé à la trame et au déroulement de son histoire, il s'est “contenté” de gommer les maladresses de son premier roman, les lourdeurs trop explicatives, de réorganiser certaines phrases pour leur donner plus de rythme, de timbre… C'est — les romanciers ne me contrediront pas — un travail pénible, mais ô combien utile parfois.
Cela ne veut pas dire que la version de 1986 était mauvaise — Andrevon, Douay et Duvic qui dirigeaient la collection ne s'étaient pas trompés — cela signifie qu'un auteur évolue. Qu'il est capable d'analyser ce qui sert et/ou nuit à son récit…
Cela veut dire aussi que ce qui a été écrit depuis au moins dix ans — il est rare qu'un roman soit publié l'année de sa rédaction — est encore lisible aujourd'hui… je parle là de l'histoire.
En fait malgré la référence — “obligée” pour faire mode — à Internet qui figure en quatrième de couverture le lecteur, à l'aide du titre doit vite percevoir qu'il s'agit d'une histoire intemporelle, d'une réflexion sur la condition humaine. Elle se pare des attributs de la SF pour mieux toucher, mais elle va plus loin que les codes que le genre “impose”.
Jacques Colin, devenu Jack Slinger, fait partie de ceux qui peuvent, aidés par des drogues, pénétrer dans les villes bombardées par les extraterrestres et enfermées dans des cercles de radiations pour en ramener des œuvres d'art. En fait ces œuvres originales sont les productions de ceux qui vivent encore au milieu des radiations. Les hommes punis on ne sait de quoi, mais qu'importe. Jack mourra tué par son coéquipier Phil, pendant que la police mettra fin à ce trafic.
Péripéties, violence rare faite à elle-même par une humanité blessée sur ce point le lecteur n'est pas déçu (Canal connaît bien ses classiques du Western). Mais ce n'est pas suffisant en soi pour éclairer pleinement le titre qui sous la forme affirmative pose une question sournoise.
Est-ce à son éphéméréité ( !?) que l'homme doit d'être maudit ? ou notre désir d'immortalité, notre prétention à l'éternité sont-ils responsables de nos échecs ? Ambiguïté, nuance ? L'art serait la seule réponse, notre réponse à la malédiction, cette impossibilité de franchir les cercles pour échapper à la brièveté de notre existence. Les extraterrestres ayant remplacé un Dieu vengeur, dispensateur d'un châtiment dont nous n'avons toujours pas compris la cause.
Les fidèles de Canal seront peut-être surpris par la sortie de ce roman après la trilogie africaine qui ne nous avait pas habitués à cette presque mise à nu d'une angoisse.
En dix ans d'écriture Canal a appris à manipuler les codes SF au point qu'on pouvait peut-être prendre plus de plaisir aux finesses de sa manipulation qu'aux questions qu'elle habillait d'or et de brocart (cf. le Cimetière des papillons ou la Guerre en ce jardin), mais il n'a pas perdu le sens des interrogations légitimes et angoissantes auxquelles chacun de ses livres est peut-être une réponse, celle du moment sans doute… À quand la prochaine réédition ?
Notes
[1] La quatrième de couverture de l'édition J'ai Lu annonce en effet que le livre est “inédit” ! — NdlR.