Keep Watching the Skies! nº 26, novembre 1997
Michael G. Coney : Charisme
(Charisma)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Sébastien Cixous
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Il est très curieux de voir ce roman de Michael G. Coney, publié pour la première fois en France chez Calmann-Lévy en 1976, réédité au Livre de Poche sous un nouveau numéro (en l'occurrence le 7192), sachant qu'il en possédait déjà un dans ladite collection : le 7046. Le procédé est d'autant plus incompréhensible que c'est toujours la traduction — au demeurant excellente — de Jacques Polanis qui est proposée au lecteur, même si elle est agrémentée d'une préface inédite du docte Gérard Klein. Mais qu'importe la numérotation pourvu qu'on ait l'ivresse, car quoique peu connu du public, Charisme compte sans doute parmi les chefs-d'œuvre de la Science-Fiction des années 70.
Lors d'une promenade en campagne, John Maine, qui, tout comme l'auteur, exerce la profession de gérant d'hôtel, rencontre l'amour en la personne de Susanna, une jeune femme venue d'un univers parallèle. Suite à ce “contact”, le héros se lie avec la réplique de sa bien-aimée dans son monde d'origine, laquelle explore, à l'instar de ses doubles, les dimensions voisines pour le compte du Centre de recherche de Falcombe.
Les scientifiques ont en effet découvert qu'il existe une infinité d'univers parallèles comparables au nôtre, en dépit d'une légère divergence temporelle. Aussi espèrent-ils que la connaissance des mondes les plus lointains leur permettra à terme de maîtriser l'avenir. Le seul problème est qu'il s'avère impossible pour quiconque de survivre en même temps que son double hors de la zone de transfert dans l'univers d'accueil. C'est la raison pour laquelle John Maine, qui est visiblement décédé dans les mondes voisins, est choisi pour remplacer Susanna lorsque cette dernière trouve la mort de façon accidentelle. Bien que sa mission vise à établir l'existence d'une quelconque cohérence liant les univers parallèles entre eux, Maine cherche surtout à retrouver Susanna, à savoir de quelle manière il est mort et qui a assassiné Wallace Mellors, son employeur…
Charisme est le développement de "Susanna, Susanna !", une émouvante nouvelle publiée en français sous le même titre dans le nº 234 de Fiction (juin 1973). Beaucoup d'auteurs de Science-Fiction démarrent leurs récits par une phrase choc destinée à capter dès le départ l'attention du lecteur. C'est la solution inverse que choisit Michael Coney, qui prend tout son temps pour greffer une intrigue policière diabolique sur la trame de son texte initial. Il enrichit également son roman d'une quête contrariée de l'amour absolu que l'on ne manquera pas de comparer au superbe le Jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson. Ce faisant, l'auteur trouve un souffle que la nouvelle — à la fin de laquelle, Maine se contentait de noyer dans l'alcool le chagrin consécutif à la mort de sa bien-aimée — ne possédait pas. En outre, l'infinité des mondes parallèles permet à Coney d'accompagner la lutte désespérée de son héros contre le Destin d'une intéressante réflexion sur le déterminisme — variation qu'une immuable boucle temporelle interdisait à Matheson.
L'intrigue policière connaît un dénouement voisin du terrible Sabbat dans Central Park, que William Hjortsberg signera trois ans plus tard, même si l'intensité dramatique et certaines réactions du héros se rapprochent davantage de la célèbre adaptation cinématographique d'Alan Parker (Angel heart). Mais c'est encore le dénouement de la quête amoureuse qui, par son nihilisme, émeut le plus.
On garde de Charisme l'image enchantée d'un port de pêche de Cornouailles, la vision transcendante de l'âme sœur attendant au bord du chemin et le désarroi d'un homme qui conserve, au fond de lui, le souvenir diffus d'une réalité alternative, d'un bonheur irrémédiablement perdu dans les méandres d'un jeu d'échecs cosmique.