KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Roland C. Wagner : Tøøns (les Futurs mystères de Paris – 6)

roman de Science-Fiction, 2000

chronique par Pascal J. Thomas, 2000

par ailleurs :

La Psychosphère chère à Roland C. Wagner est devenue au fil des romans une sorte de bibliothèque universelle de la culture populaire, et peut donc avaler n'importe quel emprunt à un autre livre, disque ou film sans changer de nature. Mais peut-être vaudrait-il mieux pour elle qu'elle n'ingère point un trop gros bloc provenant d'une même source.

Tem est lancé sur une nouvelle enquête par la fondation Quarante-Deux : leur exemplaire du Faisceau chromatique, le roman par trop légendaire de Richard Montaigu, vient d'être volé… et il semble impossible, par suite d'une série de vols similaires, d'en dénicher le moindre exemplaire. Complication inattendue, ce vol semble avoir été commis par un toon, un de ces personnages de dessins animés qui sont capables de s'enkyster dans notre réalité à trois dimensions, oui, oui, comme dans Roger Rabbit. Toons qui se mettent à proliférer, à apparaître aux quatre coins de Paris, tandis que de vieux ennemis de Tem pointent leur vilain nez…

Si Tekrock regorgeait de résumés des livres précédents de Wagner (avec ses ré-explications de la Grande Terreur Primitive), nous n'avons droit dans Tøøns qu'à une course-poursuite frustrante derrière le contenu mystérieux — pour les personnages du roman — de cet autre livre précédent de Wagner qu'est la série du Faisceau chromatique. Par contre, Roland ne perd pas une occasion de mettre en scène la mémoire de son alter ego, Richard Montaigu, et du milieu SF français des années 1980-90. Je suis même mal placé pour critiquer le livre, en tant que presque-personnage — une chronique signée “Pascal J. Thomas” est citée p. 107-109, et je me trouve en bonne compagnie, avec Francis Valéry et “FZSM”.(1) Remarquons toutefois que les pastiches que réalise Roland de nos trois styles me semblent avoir plus de rapports avec nos façons d'écrire à l'heure actuelle — pour Valéry et moi-même en tout cas — qu'avec celles que nous pouvions adopter il y a dix ou quinze ans. Détail. Il est certain que je bénéficie personnellement d'une complicité avec de tels détails, dont sont privés les lecteurs de base. Pour avoir eu un contact avec un lecteur “naïf” du livre, je sais qu'il peut s'en suivre un peu de confusion — il n'a pas remis mon existence en question ; par contre, il se posait des questions sur celle du Faisceau chromatique

On pourrait faire la même remarque sur bien des romans de RCW, toujours référentiel. Peu importe donc. L'argument du livre évite ici un peu les grandes questions psychologiques ou sociales, pour se concentrer sur une obsession finalement un peu étroite, celle de la fragilité de l'existence des œuvres artistiques : celles qui, tout du moins, ne s'incarnent pas en Archétype. Leur essence est spirituelle, mais leur existence — c'est-à-dire la possibilité de se communiquer à d'autres gens — dépend de supports matériels, livres, disques, pellicule… et le nombre d'exemplaires de ces supports est fini. Ainsi, en dépit de la prolifération des imprimeurs et des bibliothèques au xxe siècle, y a-t-il déjà des romans perdus ou des disques évaporés parmi ceux qui ont été publiés dans les cinquante dernières années ? Et ne parlons pas des films, au support ô combien plus fragile. C'est un cauchemar de collectionneur. Et une version de l'inquiétude universelle sur la mortalité — version fétichiste, toutefois.

Alors, ce roman sera-t-il sauvé par le cinéma ? Naturellement, Roland C. Wagner ne fait pas appel aux mêmes références cinématographiques que, disons, Richard Canal. Le défaut pourtant de l'emploi des toons est qu'il est resté trop près de son modèle. Bien sûr, les pages consacrées aux aventures des humains dans le monde des toons sont désopilantes, bourrées d'idées visuelles admirablement traduites en mots, mais les gags ne surprennent pas vraiment parce que le concept général reste celui de Roger Rabbit (jusqu'au mélange entre Tex Avery et le roman noir, enfin, vert fluo dans le cas de Tem). La galerie habituelle des personnages des Futurs mystères de Paris fait son apparition, chacun racontant un petit bout d'histoire avec son style et sa police de caractères.(2) Cela donne certains morceaux de bravoure (le récit de Snakefingers le benêt), mais l'effet général — je m'en étais déjà plaint — est celui d'un morcellement pas toujours heureux.

Bon, au passage, Wagner nous offre toujours un réjouissant saupoudrage de gags, de pastiches (ici les passages de livres signés “Edgar Zyviec” placés en tête de chapitre), et de visite du terroir parisien. Sans que tout cela ait besoin de faire avancer le roman.

Sur un point au moins Wagner a fait œuvre originale et surprenante : le dénouement de son livre, qui ne se plie pas aux conventions rassurantes de la littérature populaire. Pinailleur comme toujours, j'aurais tendance à lui reprocher de ne pas avoir amené un tel dénouement par des indices dans le corps du livre — ce qui l'expose à l'accusation d'avoir torché une fin à la va-vite —, et plus sérieusement, d'introduire une brisure dans l'atmosphère de lecture — alors que d'autres aventures de Tem avaient mieux su mêler humour et sérieux. En contrepartie, ma curiosité est piquée en ce qui concerne le tour futur de la série.

On pourrait donc continuer à vérifier la règle empirique qui veut que les volumes de rang impair des Futurs mystères de Paris (la Balle du néant, l'Odyssée de l'espèce, Tekrock) soient plus intéressants et plus essentiels au développement des idées de la série que les romans de rang pair (les Ravisseurs quantiques, l'Aube incertaine, Tøøns). Attendons donc le septième(3) avec impatience.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 37, juillet 2000


  1. Francis Saint-Martin.
  2. C'est pour ça pour qu'on parle de roman policier de SF ?
  3. Babaluma. Voir aussi les suivants, Kali Yuga & Mine de rien. — Note de Quarante-Deux.

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