Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Élisabeth Vonarburg : Slow engines of time
recueil de Science-Fiction traduit du français ~ chroniqué par René Beaulieu
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Les recueils de nouvelles de S.-F. se font parfois bien rares ces temps-ci dans le monde de l'édition et c'est vraiment dommage, la forme brève restant souvent le moyen d'expression privilégié du genre, celui où l'audace et la liberté dans les styles et les thèmes peuvent alors le mieux se laisser libre cours. Et il est encore plus rare d'en voir paraître un en traduction anglaise écrit par un auteur francophone. Mais c'est ce qui se produit ici, et en édition cartonnée encore, pour Élisabeth Vonarburg, l'auteure de S.-F. bien connue récipiendaire de très nombreux Prix (un Grand Prix de la Science-Fiction Française, deux Grand Prix de la Science-Fiction Québécoise et plein d'autres), dans la foulée du solide succès, tant critique qu'auprès des lecteurs, des romans the Silent city, In the mothers' land et the Reluctant voyageurs en pays anglo-saxons comme celui de leur version originale en pays francophones. On peut vraiment, de bon droit, s'en réjouir bien fort ici.
Ce livre offre une sélection de certaines des toutes meilleures nouvelles de l'auteure, en fait huit en tout, pour être plus précis, surtout choisies parmi celles qui présentent les univers du pont du froid (cet appareil qui permet de voyager entre les mondes parallèles lorsque l'on atteint les températures basses absolues, pour simplifier bien très outrageusement ici) et surtout de Baïblanca, tout comme c'était déjà le cas pour son livre précédent, la Maison au bord de la mer, récemment paru chez Alire.
On retrouvera, par exemple, une excellente réflexion sur les Arts du futur, les rapports complexes et ambigus entre créateur et création vivante, parents et enfants, bien présents dans "Janus", la terrible “performance”, mais toujours à connotation esthétique, de ceux qui errent au bord de ou "In the pit", la très belle réconciliation et révélation personnelle découverte près d'une "House by the sea", l'énigmatique recherche et rencontre de soi, et de l'autre, qui est soi et pourtant ne l'est pas vraiment, que fait alors la Voyageuse dans "the Knot" et ces tout autres voyages, toujours plus divers et toujours plus énigmatiques, bien que paradoxalement aussi tous très révélateurs, entrepris par l'intermédiaire et au travers de "the Slow engine of time" ou le toucher de la simple texture de la nacre blanc dans les circonvolutions labyrinthiques des chambres du subtil jeu du "Chambered Nautilus".
Ce livre nous parle des Rêves de et par la Science, des noces intimes, des rapports réels, souvent très complexes, parfois sources de conflit avec mais surtout médiatisés par la technologie, qui se tissent alors entre l'Imaginaire et les diverses Réalités, celles de la conscience humaine comme celles de l'univers observable, des relations qu'ils entretiennent, toujours plus riches et interactives que ce à quoi on croit ou pense alors parfois pouvoir vainement arriver à les réduire.
La Science, la connaissance et les applications technologiques, au sens le plus large, pour le meilleur comme pour le pire, sont vraiment ici les révélateurs, les condensateurs, les catalyseurs de l'expérience humaine, de l'émotion et des pensées qui nous habitent, des rapports et échanges entre nous et le presque indicible et insaisissable “totalement autre, totalement différent” de nous.
La destinée future des Arts, de l'expression et de l'existence humaines, la définition même de qui est et sera alors “humain”, la cartographie de l'avenir, ou plutôt des “différents avenirs” encore possibles de et pour nos sociétés, déjà implicites par les choix mêmes que nous faisons ou ne faisons pas maintenant et de ceux qu'ils nous restent peut-être bientôt à faire, et parfois très rapidement, ainsi que celle des rapports entre humains, par-delà les changements et le lent bouleversement des Grandes Marées, sont certainement encore toujours à naître en chacun de nous, au sein des Centres où se rencontrent entre eux et se préparent à leurs périples intérieurs et extérieurs les Voyageurs du Pont du Froid qui unit tous les différents Univers alternatifs de l'Histoire ou imaginés par la conscience humaine.
L'écriture de ces récits, très bien rendue par d'excellentes traductions, travaille ainsi constamment le lecteur, sans répit aucun, et surtout sans la moindre complaisance non plus envers sa paresse “naturelle”, exigeant tant émotions, qu'attention et implication profondes. Les images offertes sont des fulgurances lentes ou bien encore violentes, merveilleuses ou terribles qui évoquent, avec minutie et réalisme, les rencontres, les échanges et les paysages, passés ou présents, les plus intimes et les plus personnels du lecteur en les passant, comme au travers d'un révélateur photographique, par l'expérience esthétique et psychologique de ceux de l'auteure.
Voici donc un très beau livre, bien indispensable de nos jours, écrit par une écrivaine qui touche, étreint et secoue également, au sommaire et contenu qui n'ont pas vraiment leur équivalent en S.-F. Francophone, une lecture qui est un vrai plaisir à multiples niveaux, bien gratifiant, tant pour l'émotif, les sens que l'intellect. Mais si vous avez lu Élisabeth Vonarburg, il est bien certain que vous le saviez probablement déjà…