Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Johan Heliot : Pandémonium
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Philippe Heurtel
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Nous sommes à Paris, en 1832. Frédéric Maupin mène une vie de bohème, vivotant de son métier d'écrivain public. Une existence paisible, jusqu'au jour où deux policiers viennent le tirer du lit. Ils le conduisent auprès de Vidocq en personne, le fameux ancien bagnard devenu chef de la sûreté. L'affaire qui préoccupe ce dernier est des plus étranges : la maquette d'une forteresse élevée par Vauban plus d'un siècle plus tôt a été dérobée, un homme qui se trouvait sur place a été égorgé, et dans sa main on a retrouvé une liste de noms parmi lesquels figure celui de Maupin. Le jeune écrivain est relâché, mais il repère des hommes louches rodant près de chez lui. Il ne se doute pas qu'en les suivant, il se lance dans une aventure mouvementée au cours de laquelle il rencontrera des extraterrestres échoués sur Terre. Certains, belliqueux et dégénérés, représentent une menace pour l'humanité. Mais une poignée de rebelles s'oppose à la tyrannie et va trouver de l'aide auprès de Vidocq et de Maupin.
Après la Lune seule le sait et Reconquérants, Pandémonium est le troisième roman de Johan Héliot… et une déception. Le roman partait pourtant sous de bons auspices. On retrouve ce mélange d'histoire parallèle et de Science-Fiction qui a fait l'intérêt de la Lune seule le sait — et dans une moindre mesure de Reconquérants —, dans lequel des personnages réels vivent des aventures imaginaires et extraordinaires. Heliot adresse au passage un petit clin d'œil au Fantastique, en attribuant à ses extraterrestres le mythe du vampire. La quatrième de couverture nous promet « une capitale en proie à la terreur », « au milieu d'un carnage surnaturel ». Tout cela est alléchant.
Mais, contrairement aux deux autres romans de l'auteur, la S.-F. de Pandémonium est dénuée d'originalité. Des extraterrestres échoués sur Terre prennent notre apparence, ils ont des ceintures qui leur permettent de voler, certains sont maléfiques mais des rebelles s'opposent aux forces du mal (dont le père du jeune Skywalk… pardon, du jeune Frédéric Maupin). Pas de quoi fouetter un alien, et ce n'est pas l'utilisation des nanomachines — même dans le contexte inattendu de 1832 — qui peut y changer grand-chose. D'autant que l'auteur ne nous épargne guère de clichés. Clichés scénaristiques, tel le méchant qui explique tout son plan à son adversaire — lequel renchérit en lui expliquant ce qu'il a compris : bonjour les pavés explicatifs maladroits. Clichés surtout dans les personnages. Ainsi en va-t-il de Masferrer, l'ami du héros, archétype du Colosse au Grand Cœur — qui n'hésite pas à aider autrui, et fait vibrer les murs quand il réclame à boire —, ou encore de la logeuse de Maupin, la Gentille Petite Vieille Qui S'Inquiète Pour Son Jeune Locataire. Vidocq n'est pas le personnage le moins intéressant. Il faut dire que la vie réelle de l'homme est déjà un roman — et en a même inspiré quelques-uns. Que n'était-il le personnage principal de Pandémonium ? À la place, nous avons un Maupin dénué d'épaisseur, de caractère. Il n'est qu'un narrateur, et un pantin manipulé par l'auteur au lieu d'être mû par sa personnalité et ses motivations propres — au début du roman, il se lance dans l'aventure sans raison crédible, tout comme Masferrer, d'ailleurs. La faute en incombe sans doute en partie à la brièveté du roman. L'histoire elle-même en pâtit : le roman manque d'espace pour planter un décor crédible. Dès lors, le mélange Science-Fiction/Histoire ressemble à un collage artificiel, là où le roman la Lune seule le sait reposait sur un univers solidement charpenté. Les scènes où Paris est censé subir l'assaut de créatures maléfiques sont exécutées alors qu'il y avait matière à de grandioses morceaux de bravoure !
Reste à aborder le problème du style. Héliot a écrit Pandémonium à la manière des auteurs du dix-neuvième siècle (choix tout à fait justifié par le sujet du livre) : un style qu'aujourd'hui nous pourrions juger emphatique, parfois naïf. Mais si l'exercice était réussi dans la Lune seule le sait, le résultat s'avère ici presque insupportable tant l'emphase tourne à l'outrance. Un personnage ne peut pas être introduit sans qu'il s'agisse d'un “diable d'homme”, d'un “solide gaillard”, d'une “brute” qui tire au pistolet avec une “infernale” précision et de préférence “rugit” au lieu de parler ou crier. Tout est à l'avenant, et l'on tombe dans la caricature avec des phrases telles que « Je finirai par les trouver, ces bandits venus d'un autre monde » et autres « maléfique oiseau que j'avais cru réduit en cendres dans les entrailles de Paris ». Certes, Pandémonium est aussi — surtout ? — un hommage à une certaine littérature du XIXe siècle. Peut-être est-ce uniquement ainsi qu'il faut le lire afin de l'apprécier.