Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Alain Woodrow : le Pape a perdu la foi
roman d'Ecclésiologie-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial
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Double erreur de présentation. Une couverture fluo, lettres vert pomme sur rose tyrien, typographie de dessin animé pour le nom de l'auteur, de pseudo-graffiti pour le titre. Certes, ça tire l'œil, mais ça ne l'attache guère. Et ça ne correspond pas tout à fait au contenu. Et puis un titre certes tout à fait honnête, il y a bien ça dans le livre, mais qui est justement trop explicite et trop parcellaire, de quoi détourner d'un seul coup et le fidèle et le mécréant. Alors même que l'auteur dit au moins vaguement quelque chose. « Longtemps chroniqueur religieux au journal le Monde » dit le prière d'insérer, et l'intérieur rappelle quelques livres, dont les Nouvelles sectes au Seuil, collection "Points". En prime, le bouquin est dédié « à la mémoire d'Aldous Huxley ». Celui du Meilleur des mondes, certes, mais plutôt pour les Portes de la perception. Ça vaut peut-être la peine d'aller voir de plus près.
On est dans la politique-fiction, rayon vaticanologie. Dans un avenir proche, calculable grâce à l'âge de quelques personnages et à leur année de naissance, un Français vient d'être élu pape. Il a quelques points communs avec Monseigneur Lustiger, mais pour le reste, c'est une carne quasi-intégriste, formé par l'Opus Dei, décidé à résorber toute trace du concile Vatican II, et auprès duquel Jean-Paul II passe pour un gauchiste. Tout cela inquiète furieusement les Jésuites — auxquels l'auteur a consacré un autre livre il y a quelques années. En face, toujours pour la politique-fiction façon polar, un groupe post-soixante-huitard mené par un individu particulièrement charismatique entreprend de régler sommairement — à la plupart des sens du terme — les problèmes que posent les diverses religions. Son gourou étant ce qu'il est, c'est l'occasion de recycler quelques extraits du bouquin sur les sectes cité plus haut. Ce ne serait déjà pas totalement négligeable, d'autant qu'au travers du web, et de délires curetons, se prépare une troisième guerre mondiale, la plus définitive possible, pour des raisons totalement stupides et implacablement logiques, donc humainement plausibles. Sauf qu'à la politique-fiction s'ajoute une réelle Science-Fiction. Avec une découverte et ses conséquences, tout à la fois individuelles et collectives. Dès le premier chapitre, intitulé "la neurothéologie". On a tout simplement trouvé non pas le gène de la foi comme l'affirme la quatrième de couverture, mais au moins la zone du cerveau qui la produit. D'où la possibilité d'opérer. De procéder à l'ablation. Ce qui ne peut qu'intéresser le groupe plus haut cité. Surtout si la cible est haut placée. Ce qui ne peut que déclencher quelques angoisses dans les rangs des fidèles, quelques palinodies, quelques reniements massifs, pour ne pas dire quelques paniques collectives assez dévastatrices. Indépendamment des problèmes métaphysiques, dont on se doute qu'ils sont eux aussi évoqués. Et lorsque quelque chose semble absurde, quand un personnage affirme que « cela sent trop la Science-Fiction », l'impossible se réalise.
S'y ajoutent le personnage central d'une militante du groupe curetonicide, et d'autres plus rapidement esquissés, parmi ses compagnons, ou côté jésuites. Plus quelques silhouettes caricaturales et réjouissantes, en particulier côté “sainte mafia” (l'Opus). Et entre les deux, trop vachards pour entrer dans la première catégorie, trop fouillés pour la dernière, les portraits assez symétriques du pape et du gourou. S'y ajoutent aussi une chanson de Jeanne Moreau et un déluge de fiches, sur le Vatican, sur le recrutement de ses Suisses, sur le confesseur de Louis XIV, sur le Château Saint-Ange, sur le très ecclésiastique et très suspect restaurant romain appelé l'Eau vive, sur les rapports entre foi et raison selon en particulier Saint Agustin, sur l'Opus Dei, évidemment, et sur ses liens avec Karol Wojtyla, sur les arguments classiques de l'athéisme, de Voltaire à Jacques Monod en passant par Marx et Bertrand Russell, avec une mention spéciale pour ceux développés dans le testament du curé Meslier. Et aussi sur Internet, sur la Piazza di Spagna, sur le Père Lachaise, sur le rattachement de la Navarre à la France, sur le point Oméga de Teilhard de Chardin, ou sur les événements déclencheurs de quelques guerres. Cet encyclopédisme peut exaspérer. Il peut aussi amuser, comme il amuse chez Eco… et bien souvent en Science-Fiction. D'autant que l'auteur a le mauvais goût de faire citer par un de ses personnages un de ses propres ouvrages, le dernier en date, sans faire dire qu'il est de lui, mais en le qualifiant d'excellent. On en pardonnera même la propension à abuser des italiques pour des mots passés dans le français courant, gastronomique en particulier, et quelques barbarismes commis à l'encontre de la langue italienne, trop mais finalement mal utilisée.
Ajoutons que l'orientation générale n'est pas tout à fait ce que l'on pourrait croire au titre et à la couverture. Mais qu'elle correspond à ce que l'on peut imaginer au vu des états de service de l'auteur. L'athéisme est pris en considération, mais dépassé. Dialectiquement, a-t-on envie de dire. Renvoyé dos à dos avec l'intégrisme. On croirait Clemenceau disant du “petit père” Combes qu'il avait une cervelle de vieux curé, même pas retournée, tout juste dévoyée de ses fins. Et ce sont les jésuites, entre Vatican II et théologie de la libération, qui sont les vrais héros… Le souligner davantage aurait sans doute fait fuir quelques lecteurs. Cela en aurait attiré d'autres, peut-être plus nombreux, ce qui n'aurait d'ailleurs sans doute pas été du luxe, le roman ne semblant pas avoir fait grand bruit. Et cela aurait été une bonne action, car entre quelque humour, pas mal d'action (trois assassinats et un enlèvement, une enquête, une arrestation), des personnages intéressants, et les éléments fictionnels plus haut suggérés, il y a de quoi s'amuser. Même d'ailleurs, lorsqu'on ne partage pas les orientations métaphysiques de l'auteur.