Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003
Jamil Nasir : Mirages lointains
(Distance haze)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Noé Gaillard
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C'est encore et toujours la même histoire : celle d'un homme qui doute de lui d'abord, des autres ensuite, et qui se perd ou se dilue dans des rituels et des indifférences malgré des sursauts plus ou moins violents et efficaces… Au point que l'on puisse croire et/ou imaginer un instant qu'il s'évapore. Je pense que vous gardez de la Tour des rêves un bon — agréable et clair — souvenir.
Ici Wayne Nolan, un écrivain en panne d'inspiration — sans doute à cause d'un divorce douloureux — se voit confier un livre-reportage sur la Fondation Deriwelle. Ladite fondation dépense des millions de dollars dans le but d'apporter la preuve scientifique de l'existence de Dieu. En même temps qu'il rencontre des individus qui peuvent passer pour des illuminés, Wayne est sujet à des rêves récurrents dans lesquels un Indien lui propose de verser une certaine somme sur un compte pour se sentir mieux. Nolan paye, et “passe de l'autre côté”, au pays de ses merveilles. Un jour, il découvre Gail une fille boiteuse et droguée qui se comporte de façon odieuse avec lui, avant d'accepter son amour et de lui avouer qu'elle est la fille de Raymond Hall, un des Prix Nobel qui travaillent à la Fondation. Selon elle, c'est à lui qu'elle doit le fait de boiter, puisqu'elle lui a servi de cobaye.
Mais Gail meurt, et Wayne ne parvient plus à retrouver son pays des merveilles. Puis Wayne et les autres sont invités à une soirée au cours de laquelle les jeunes femmes présentes se comportent de manière agressivement sexuelle avec tous les hommes. Ceux qui ont succombé tombent malades. Ils servent de cobayes à Hall — ce nom ne vous rappelle rien ? faites un effort ! — qui cherche à prouver que la croyance en Dieu relève de la stimulation biologique d'une partie du cerveau en administrant un produit qui l'interrompt. C'est bien toujours et encore notre bonne vieille histoire de réalité têtue et rebelle à nos désirs — ou est-ce l'inverse ?
L'art de Jamil Nasir, qui se confirme ici, est de faire passer une “banale” quête de soi — très Dickienne — au travers d'une réflexion singulière sur des “universaux jungiens” — très Dickiens ? — tout en laissant au lecteur l'impression d'être maître de sa lecture… de l'art de nous faire prendre des messies pour des lanternes sans se brûler ! On peut avoir nettement l'impression que l'auteur se détache, se désolidarise, au fur et à mesure de son écriture. Et cette dernière remarque concernant le créateur d'une “création-créature-œuvre” dont le sujet est dans le fond les fondements de la croyance, de la foi en un dieu créateur, fait de l'auteur un démiurge qui s'assume. On se rappellera la formule de Prospero dans la Tempête : « puisque nous ne comprenons rien à ces événements, feignons d'en être les organisateurs » (je cite Shakespeare de mémoire).
(On appréciera la qualité de la traduction, mais on regrettera qu'une absence de relecture laisse quelques énormités… typographiques et orthographiques.)