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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 46 Au seuil des ténèbres

Keep Watching the Skies! nº 46, janvier 2003

Richard Chizmar : Au seuil des ténèbres

(the Best of Cemetery dance)

anthologie de Fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

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Dans la droite ligne d'anthologies telles que 999 ou Révélations (parues en France en 1999 et 2000), Au seuil des ténèbres allèche tout d'abord par un sommaire d'exception. Il n'est en effet pas si courant de retrouver autant d'auteurs de qualité dans un seul ouvrage. Cependant, à l'inverse des deux livres précités, cette anthologie n'est pas construite autour d'un thème, puisqu'elle est composée des meilleurs textes publiés par une revue, Cemetery dance.

Trente nouvellistes [1] et trente textes courts ont ainsi été réunis par Richard Chizmar, fondateur et directeur de la revue Cemetery Dance, pour conduire le lecteur Au seuil des ténèbres. Le point commun de tous ces textes est donc d'avoir été publié dans les pages de Cemetery dance, entre 1990 et 1996. Trente auteurs parmi lesquels on retrouve quelques-uns des plus grands noms de la littérature fantastique contemporaine, dont l'incontournable Stephen King avec son "Dentier sauteur" [2]. Mais, comme l'arbre ne saurait cacher la forêt, la présence du romancier du Maine ne doit en aucun cas occulter le talent des autres participants. D'autant qu'il en est certains qui rivalisent sans peine avec le roi de l'Horreur. Ainsi, Poppy Z. Brite, Nancy A. Collins, Ramsey Campbell, Graham Masterton ou Joe R. Lansdale sont des valeurs sûres de la littérature fantastique anglo-saxonne, des auteurs connus et reconnus aux États-Unis comme ailleurs. Et si d'autres nouvellistes d'Au seuil des ténèbres sont bien moins célèbres qu'eux, leur texte est une carte de visite amplement suffisante.

Au-delà de l'origine commune des textes qui composent Au seuil des ténèbres, on peut constater une réelle convergence thématique. Si l'on met de côté certaines nouvelles qui entraînent le lecteur en terres étrangères — je pense en particulier à "Med-Y-Sex" de Steven Spruill qui divague en zone S.-F., ainsi qu'à "En morceaux" de Ray Garton qui glisse carrément dans le surréalisme —, la majorité des textes mêlent l'horreur et le quotidien. Ils ont pour la plupart un goût de polar, mais un polar noir comme la nuit, avec des traces rouges comme le sang qui perle aux lèvres d'un vampire goulu. Dans cette horreur au quotidien, les monstres prennent forcément d'autres formes. Ils sont assassin en fuite pour Rick Hautala ("Au loup !"), tueurs en série pour Peter Crowther ("le Mangeur") ou James Kisner ("la Dernière bobine"), cochons omnivores pour Graham Masterton ("un Dîner de cochon") ou, plus effrayant encore, enfants à l'innocence perdue pour Brian Hodge ("Quand le silence fait trop de bruit"), James Dorr ("une Histoire de Noël") ou Jack Ketchum ("la Carabine"). Le monstre peut être plus insidieux et prendre la forme immatérielle d'une folie criminelle dans "l'Équarrisseur" de Douglas Clegg ou "le Chariot d'urgence" de Nancy Holder. Il peut aussi se dissimuler sous l'apparence de médicaments ou de traitements miraculeux aux conséquences imprévisibles comme dans "Métastases" de David B. Silva ou "Mister God" de Thomas Tessier.

Quelques véritables monstres du bestiaire fantastique sont cependant présents Au seuil des ténèbres. On croise ainsi quelques vampires dans "le Goût des autels et du sang" [3] de Poppy Z. Brite et d'autres créatures de la nuit font des apparitions surprises dans les nouvelles d'Edward Lee ("Presque jamais") ou de Stephen Mark Rainey ("Silhouette"). Mais la grande majorité des textes d'Au seuil des ténèbres font définitivement appel à des monstres du quotidien, à la lisière entre le réel et le surnaturel. Parmi tous les auteurs présents au sommaire d'Au seuil des ténèbres, Richard Christian Matheson excelle tout particulièrement dans ce genre ou plutôt cette fusion des genres. Ainsi, "Möbius", sa nouvelle, se joue littéralement du lecteur en lui faisant croire des choses qui ne sont pas tout à fait la réalité. Se servant du quotidien, Matheson entraîne le lecteur sur le chemin de l'horreur. Une horreur d'autant plus malsaine qu'elle pourrait être réelle — ou peut-être l'est-elle. Une horreur d'autant plus massive qu'elle déboule sans prévenir à la fin d'un texte ultracourt et redoutablement efficace [4].

Si l'on ne peut être que séduit par la matière proposée, la forme manque de quelques éléments essentiels. On peut ainsi regretter l'absence de notices bio-bibliographiques. Même si l'on s'en passe fort bien pour des auteurs tels que Stephen King ou Poppy Z. Brite, les noms et les carrières de Jay R. Bonansinga et Kim Antieau sont bien moins connus. Un petit mot sur ces nouvellistes et sur leurs œuvres, notamment celles traduites en français [5] , aurait constitué un plus appréciable pour cette anthologie. Dans le même ordre d'idée, il semble évident qu'une courte présentation de la revue Cemetery dance aurait donné une âme à ce livre. Car, avant d'être une revue connue et reconnue, Cemetery dance est née de la passion de Richard Chizmar pour l'Horreur et le Fantastique. De petit magazine en noir et blanc et à faible tirage à ses débuts, Cemetery dance est devenu aujourd'hui un magazine qui accueille les plus grandes signatures du genre. C'est également sous le label Cemetery Dance Publications que Richard Chizmar publie chaque année, depuis 1992, une dizaine de romans ou recueils de nouvelles, dont les plus récents sont signés Ray Bradbury et Dean Koontz.

Brite, Campbell, King, Lansdale, Masterton, Matheson sont autant d'arguments de poids pour conseiller l'achat d'Au seuil des ténèbres. Mais je crois que ce ne sont pas les seuls arguments pour inciter à la lecture de cet ouvrage. En effet, Au seuil des ténèbres permet de retrouver de grands noms de la littérature fantastique, mais aussi et surtout d'excellents récits d'horreur et de suspense écrits avec passion et efficacité.

Notes

[1] Seuls vingt-trois des trente nouvellistes étant nommément cités dans cette note de lecture, je tiens à mentionner les sept oubliés : Hugh B. Cave, Matthew Costello, Barry Hoffman, Richard Laymon, Thomas F. Monteleone, Melanie Tem et Steve Rasnic Tem.

[2] Baptisée "Dentier claqueur", cette nouvelle fait partie du recueil Rêves et cauchemars publié par Albin Michel en 1994, dans une traduction de William Olivier Desmond.

[3] Cette nouvelle constitue le prologue du roman Âmes perdues traduit par Jean-Daniel Brèque pour Albin Michel, en 1994.

[4] On retrouve la même efficacité dans "Rouge", autre nouvelle de Richard Christian Matheson parue dans les Territoires de l'inquiétude 9, anthologie dirigée par Alain Dorémieux pour le compte de Denoël en mai 1996.

[5] L'excellente, mais défunte, revue Ténèbres a publié la plupart des auteurs d'Au seuil des ténèbres. Jay R. Bonansinga a même été l'un des premiers auteurs publiés par la revue du Fantastique, de la Dark Fantasy et du Suspense avec sa nouvelle "Rites animaux" (nº 1, janvier 1998).