Keep Watching the Skies! nº 49, juillet 2004
Sylvie Denis : Haute-École
roman de Fantasy ~ chroniqué par Philippe Paygnard
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Ultime survivance du passage des dieux sur ce monde, la magie habite certains de ses habitants. Dans le Royaume extérieur, les enfants possédant de tels pouvoirs sont envoyés à la Haute-École où on leur apprend à les maîtriser pour servir au mieux le royaume, sa noblesse et surtout son armée, qui mène une guerre sans fin contre le Royaume intérieur. Pourtant, des voix commencent à s'élever contre le système en place. Quelques libres-penseurs, des commerçants et même certains nobles remettent en cause l'influence de la Haute-École sur le roi et s'indignent de cette guerre stérile qui ne mène à rien. Ils ne sont pas les seuls à œuvrer dans l'ombre. Il y a aussi ces trop rares magiciens ayant échappé aux griffes de la Haute-École. Pour libérer les enfants qu'elle transforme en esclaves, ils mènent une guerre secrète contre Hérus Tork, directeur de la Haute-École, et ses maléfiques projets.
Avec ce premier roman [1] , Sylvie Denis s'aventure en des terres inhabituelles pour elle, celles de la Fantasy. Jusqu'à présent, à travers ses textes, la nouvelliste nous a fait découvrir quelques visions d'un futur proche ou lointain. Plantant solidement leurs racines dans le réel, ses textes, tels des arbres superbes et majestueux, lancent ainsi leurs branches à l'assaut d'un avenir possible. La grande majorité des récits de Sylvie Denis relèvent à l'évidence d'une SF où hard science comme spéculation jouent un rôle essentiel dans la fiction.
Avec Haute-École, Sylvie Denis nous entraîne donc dans un univers de Fantasy, mais il s'agit d'une Fantasy raisonnée où l'on ne croise ni troll, ni gnome, ni dragon, même pas un petit hobbit ou un Harry Potter égaré. Par contre, il y a une bonne dose de magie dans l'air et aussi quelques mystérieuses divinités qui, à de rares exceptions près, semblent avoir déserté ce monde.
Malgré ces éléments de pure Fantasy, Haute-École reste un roman atypique du genre. Ainsi, à l'inverse de bon nombre de récits de Fantasy, les magiciens ne sont pas les maîtres du jeu. Pour la plupart, ils se trouvent réduits en esclavage par une humanité en guerre qui use et abuse de leurs pouvoirs magiques. À y bien regarder, ces magiciens ressemblent beaucoup à ces peuples extraterrestres asservis par les humains bellicistes et conquérants de certains récits de SF. Ils ne sont pas non plus sans rappeler les Slans d'A. E. Van Vogt ou les mutants aux costumes bigarrés des Marvel Comics [2] .
Le roman de Sylvie Denis a ainsi d'évidentes résonances SF que certains thèmes simplement abordés ou plus amplement développés au fil du récit ne font qu'amplifier. Hérus Tork ressemble bien plus à Adolf Hitler et à d'autres dictateurs du monde réel qu'aux tyrans, sorciers et autres démons des univers de Fantasy. La volonté d'Hérus Tork de faire de la majorité des magiciens une sous-race à but utilitaire, de rationaliser l'utilisation de la magie et de faire s'accoupler entre eux les jeunes magiciens rappelle ainsi tout à la fois certaines théories racistes, les excès du capitalisme industriel et le programme eugénique Lebensborn du iiie Reich. Autant de thèmes ancrés dans le réel qu'on ne s'attend guère à croiser dans un roman de Fantasy.
Au-delà de ces diverses thématiques, on retrouve, dans le personnage d'Élisabeth de Siff, une héroïne denisienne en diable. Il s'agit d'une jeune fille entre l'enfance et l'âge adulte. Elle découvre tout à la fois l'amour, la réalité du monde qui l'entoure et, au cas particulier, la pleine maîtrise de ses pouvoirs magiques. On trouve également cette idée déjà présente dans plusieurs nouvelles de Sylvie Denis de l'exploitation de l'homme par l'homme, et plus précisément de la transformation d'un être humain en objet utilitaire au service de la collectivité, la magie venant ici remplacer les biotechnologies.
Si l'on peut déceler quelques faiblesses dans le récit, en particulier la simplicité avec laquelle s'organise un complot au cœur de la capitale du Royaume extérieur ou encore la trop grande facilité de l'évasion des geôles d'Hérus Tork, on ne peut qu'admirer le travail fait sur les personnages de Haute-École. Sylvie Denis nous fait ainsi découvrir le Royaume extérieur à travers les destins croisés d'une bonne douzaine de personnages. Il n'y a parmi eux aucun barbare à la Conan, ni de prince maudit façon Elric, tous les héros de Haute-École sont des humains ordinaires. Et parmi ces humains, certains portent sur leurs épaules le fardeau supplémentaire d'avoir des pouvoirs magiques. Ce ne sont ni des surhommes, ni des divinités, ni des super-héros, ils font des choix, bons ou mauvais, en se laissant guider par leur désir de liberté, par leur soif de pouvoir, leur instinct de survie ou encore simplement par amour. Seul Hérus Tork échappe totalement à ce traitement, de peur sans doute de rendre sympathique, en lui trouvant des excuses dans son passé, celui qui reste le seul véritable méchant de ce roman.
Usant des atours de la Fantasy, Haute-École est un roman que tout amateur de SF peut lire sans craindre de perdre son âme. Au-delà de ce petit exploit, Sylvie Denis, nouvelliste d'exception [3] , réussit là son passage au format supérieur tant par le nombre de pages que par la qualité de son récit, avec une mention spéciale pour des personnages d'une grande humanité.
Même si tout semble être dit sur le monde de Haute-École, on ne peut qu'attendre, avec impatience, le prochain roman de Sylvie Denis.
Notes
[1] Premier roman si l'on met de côté le galop d'essai que constituait l'Invité de verre (DLM Editions, 1997), quatrième volet sur les six qui constituent la série Agence Arkham.
[2] Sans oublier la série TV inspirée des Marvel Comics, Mutant X, où une organisation para-gouvernementale américaine baptisée Genome X tente de maîtriser le gène de la mutation à des fins inavouables et doit faire face la résistance d'un petit groupe de mutants rebelles.
[3] Si ce n'est déjà fait, il faut lire sans attendre les textes réunis dans Jardins virtuels.
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 49 & dans KWS 49.