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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 51 la Vénus anatomique

Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Xavier Mauméjean : la Vénus anatomique

roman de Science-Fiction

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chronique par Pascal J. Thomas

Nous sommes en 1752. Julien de la Mettrie, médecin et chirurgien, auteurs de livres condamnés par la justice du Roi, et narrateur de ce récit, se voit fermement invité par les services secrets de sa Majesté à rejoindre une équipe distinguée (l'ingénieur Vaucanson, l'anatomiste Honoré Fragonard, cousin méconnu du peintre). Embastillé, Diderot ne pourra être des leurs. Le chevalier Casanova croise leur chemin. Leur mission ? Participer à Berlin à un mystérieux concours convoqué par Frédéric II de Prusse. L'objet du concours ? Il leur restera longtemps caché, mais le lecteur, instruit par le titre, ou la couverture, ou par sa connaissance de la nouvelle déjà renommée1, se doutera vite qu'il s'agit de construire une femme artificielle.

La première partie du roman, située essentiellement à Paris, se consacre à la présentation des personnages et à des intrigues de pouvoir tournant autour des adversaires bigots — et violents — de toute investigation scientifique. On se croirait parfois dans un roman de cape et d'épée bien tourné, parsemé de passionnantes discussions philosophico-scientifiques.

Il y a rupture dans l'intrigue quand on passe à la deuxième partie. D'abord parce qu'on entre dans le vif de l'expérience ; ensuite parce qu'elle se déroule dans le cadre apocalyptique d'un Berlin transformé en prison gigantesque par son propre roi, dominé par les folles proportions d'une gigantesque structure sphérique, le Panopticon, au sein de laquelle nos candidats créateurs vont devoir œuvrer.

La Vénus anatomique, le roman, n'a finalement que peu en commun avec la nouvelle du même titre. Oui, les personnages, et leur entreprise de confection d'un androïde — ou devrait-on dire gynoïde ? Mais si la nouvelle s'arrête à celle-ci, le roman ne va guère plus loin. Et passe beaucoup plus de temps sur la période préparatoire du rassemblement des candidats français, et des avanies qu'ils connaissent. Temps agréablement passé, Mauméjean faisant preuve d'une impressionnante culture, et tournant fort plaisamment la phrase à la façon du xviiie siècle. Sans compter la galerie de personnages historiques plus ou moins connus dont il détourne plus ou moins la destinée, et les distrayantes allusions au futur de l'époque — que l'auteur, comme nous, n'a évidemment aucun mal à imaginer.

Tout cela pâlit toutefois au regard de l'évocation, deux siècles avant son avènement dans notre monde, d'une machine totalitaire née de l'État prussien. Voilà qui m'a suscité plus de frissons que le test de Turing avant la lettre auquel se livreront les scientifiques du livre. Par une dernière pirouette uchronique (assaisonnée d'un amusant pastiche d'Asimov), Robespierre fait figure de démocrate face au monstre naissant.

En somme, un livre bourré de culture et de talent, dont bien des parties sont admirables, mais dont le tout laisse à désirer, peut-être parce qu'on y discerne trop — permettez-moi cette allusion facile — les sutures et les boulons.

Notes

  1. Parue dans l'anthologie Passés recomposés.