Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 53 1943 : come l'Italia vinse la guerra

Keep Watching the Skies! nº 53, mai 2006

Giovanni Orfei : 1943 : come l'Italia vinse la guerra

roman de Science-Fiction inédit en français

 chercher ce livre sur amazon.it

chronique par Éric Vial

Le propos de cette uchronie (1943 : comment l'Italie gagna la guerre) pourrait paraître à la fois ridicule et scandaleux. Disons tout de suite qu'il n'en est rien. Mais de fait, imaginer l'Italie remportant la seconde guerre mondiale, à elle toute seule ou presque, l'année même où, dans notre réalité, elle cesse d'en être un protagoniste pour devenir un champ de bataille divisé entre Nord et Sud, Alliés et nazis, agonie d'une monarchie médiocre et équipée sanglante de la pseudo-république “sociale” mussolinienne, cela pourrait supposer beaucoup de prétention, un nationalisme dopé aux alcools forts ou à la moquette de mauvaise qualité, et une solide nostalgie du fascisme. Toutes choses que l'on retrouve dans au moins une autre série d'uchronies, Occidente de Mario Farneti, forte de trois volumes depuis 2001, et depuis peu d'une adaptation en bandes dessinées, et dont il faudra bien parler ici un de ces jours, ne serait-ce qu'à titre sanitaire. Encore une fois, il n'en est rien.

Mais avant les attendus politico-historiques, il y a l'histoire et l'Histoire. Concentrées justement de 1941 à 1943 : de l'uchronie, on a ici le point de départ. Détaillé. À part les pages 491 à 495, qui présentent une succincte chronologie des événements ultérieurs, de la Paix de Salerne signée le 8 septembre 1943 (jour, pour nous, du limogeage de Mussolini par le roi) au Mondial de l'été 2002 au Japon et en Corée, remportée par l'Italie grâce à une victoire en finale sur l'Allemagne, mais avec, qu'on se rassure, d'autres choses plus intéressantes. On y reviendra.

Donc, des pages 9 à 489, on a un roman de guerre. Façon thriller : Paris brûle-t-il ? ou à peu près. Doublement exotique pour nous braves franchouillards, parce que vu du point de vue transalpin, évidemment, et situé pour l'essentiel en Méditerranée orientale, Libye, Égypte, Palestine, Chypre, Turquie, théâtre d'opérations que nous avons quelque peu tendance à sous-estimer, malgré l'actualité quasi-quotidienne pour ce qui est de Jérusalem et alentours, malgré Suez, malgré aussi la proximité du Caucase et de l'URSS. Dans ce relatif exotisme, on trouvera tout de même quelques menus points auxquels se raccrocher. Des officiers égyptiens fervents partisans du fascisme et du nazisme, et qui ne sont autres que Nasser et Sadate, dans des rôles en tout point conforme à leur réalité de l'époque. Un terroriste juif assez désagréable qui s'appelle Menachem — et dont on ne saura que bien plus tard que le nom de famille est, bien sûr, Beghin1. Plus Rommel et quelques autres. Et par exemple des Français libres, qui eux ne sont pas des personnages historiques précis dans notre réalité, et qui se battent courageusement du côté de Bir Hakheim. Et une tapée de tyrans et de dictateuraillons pour un final pyrotechnique. Etc.

À cette base, dans le cadre d'un récit choral ou l'on passe d'un secteur à l'autre, s'ajoute une double aventure personnelle. Celle des héros. Celui de l'ombre, et celui que l'on suit. Et qui expliquent que ce soit bien une victoire de l'Italie et non du fascisme. Qui caractérisent aussi — ou ainsi — l'idéologie globale du roman, certes conservatrice, réactionnaire même si l'on veut — quoique… — mais en aucun cas nostalgique de l'époque où il n'y avait pas que les chiens qui levaient la patte dans les rues, les chiens ayant pour eux de pas faire aussi le salut fasciste. L'homme de l'ombre, le deus ex machina, celui par lequel l'histoire change, c'est un général. Patriote mais pas Mussolinien. Soucieux du bien commun, au-delà même de celui de son pays. Un peu trop idéalisé si vous voulez mon avis, mais après tout pourquoi pas. Présentant des ressemblances évidentes avec les officiers allemands de la vieille école qui essayèrent de se débarrasser d'Hitler — sauf qu'il agit bien plus tôt, ce qui est sensiblement plus moral. Et il tire les ficelles. Particulièrement celles du héros. Officier prié de reprendre du service. De retrouver la Méditerranée orientale, où il a été en poste. De retrouver aussi, par la même occasion, une merveilleuse Anglaise, fille de quelqu'un de très important, femme d'un haut responsable des services secrets de sa très gracieuse Majesté, et dont il a été séparé par la raison. D'où d'ailleurs évasions, manipulations, disparitions, voyages dans des conditions rocambolesques entre autres en Anatolie, et autres pages trépidantes, pendant qu'il se passe d'autres choses fort gratinées par exemple à Jérusalem, avec d'ailleurs des nationalistes juifs bien moins désagréables que le Menachem déjà cité, un prêtre irlandais de choc, et quelques autres. Sans oublier le mari de la belle Britannique. C'est touristique et technicolor. Et ça procède d'un plan fort compliqué, dont le brave jeune officier italien ne voit qu'une petite partie, moins même que le lecteur. Plan qui a supposé quelques informations sur les systèmes de codage des Alliés, informations récupérées par le Général en prologue, mais aussi de gros changements dans les priorités stratégiques de l'Axe, une victoire sur l'URSS par le Sud, et puis, in fine, la liquidation des dictateurs en bloc, après un montage grandiose.

Avouons-le, s'il y a un reproche à faire au roman, du point de vue technique, c'est sans doute là qu'il se situe. Mais comme c'est aussi un pied de nez à des traditions ésotériques orchydoclastes et, en prime, souvent nauséabondes. Du genre d'ailleurs de ce que l'on trouve en partie dans Occidente plus haut cité. On se dit même à un moment qu'on y va tout droit. Que l'auteur ne sait plus comment s'en sortir et va faire intervenir Dieu le Père dans nos misérables petites affaires d'humains. On se trompe. Certes, le décor est le Krack des Chevaliers. Et il est lourdement question du Graal. Et pas façon Monty Python. Mais pour attirer une bande d'illuminés. Ceux qui ont mis à feu et à sang le monde. Pour qu'ils soient tous au même endroit. Et qu'on s'en débarrasse d'un seul coup.

Bon. Certes. Ca pèche par optimisme. Ca néglige le fait qu'une dictature ne se limite pas au dictateur. Que pas mal d'autres gens ont intérêt à ce qu'elle perdure. Et que même le modèle de la réalité italienne, avec l'effondrement du régime en une journée lorsque Mussolini est arrêté, doit être nuancé non seulement par sa reconstitution sous égide nazie un peu plus tard, mais aussi par le fait qu'il ne s'explique que par une série de défaites, l'arrivée des Alliés en Italie même, etc. : dans une situation de victoire militaire, les choses auraient pu être sensiblement différentes… Tant pis. Le pied de nez à l'ésotérisme, qui confine au bras d'honneur, est assez satisfaisant au bout du compte. Et ramène à une rationalité salubre.

Fin de l'aventure. Fin du récit détaillé d'un déraillage historique qui réussit à rendre l'Allemagne et l'Italie victorieuses sans que ce soit un cauchemar. Parce que le fascisme et le nazisme snt balayés dans le même mouvement. La suite de l'Histoire, d'ailleurs, est édifiante. C'est avant tout une accélération de notre réalité, avec la Russie hors jeu, l'arrivée de Mao au pouvoir en Chine et la création d'Israël dès 1945, un embryon d'Europe associant France et Benelux en 1948, un gouvernement de centre gauche en Italie se rapprochant de cette alliance dès 1948 au moment où vont s'effondrer les régimes germanophiles d'Europe orientale et où en 1954 des élections libres font remplacer Rommel par Adenauer, candidat d'une grande coalition CDU-FDP-SPD. La Ve république français naît en 1955, sans que l'on explique trop pourquoi, Brandt est chancelier en 1959. En 1984, l'union européenne va de Londres à Moscou, etc. Bref, tout va plutôt bien dans un monde imparfait mais acceptable…

De nouveau, le discours est assez franchement conservateur, mais fort loin de toute nostalgie répugnante. Et ce qu'il pourrait y avoir, à la réflexion, de fort peu plausible, a été gommé par les péripéties, par l'aventure, par le souffle du récit. Dont il est dommage qu'il ne soit pas traduit en français, mais ça, c'est une autre histoire…

Notes

  1. Ces noms sont donnés dans la graphie de l'auteur (transcription italienne de l'hébreu).