Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006
Kim Newman : Hollywood blues
(the Night mayor)
roman de Science-Fiction
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Pour l'essentiel, ce roman est peut-être moins fait pour les amateurs de S.-F. que pour ceux de cinéma policier des années 1940, séries B à Z comprises — et tant pis si la couverture, de ce point de vue, aurait gagné à moins de bleu et plus de noir… Il y a une vraie jouissance à voir s'accumuler les poncifs, revendiqués comme tels. Et à subir des avalanches de noms d'acteurs et d'actrices de l'époque, des plus grands aux seconds rôles, cantonnés dans les stéréotypes qu'ils incarnent. Sans parler des réflexions hors champ sur ces mêmes stéréotypes. Prévoir, savoir, revoir, se décaler, surplomber, dans une totale connivence avec l'auteur : c'est parfait. À se demander si les délires finaux, le glissement du film noir au dessin animé, avec une main à trois doigts, d'autres qui se modifient et changent de taille, un beagle bipède aussi grand qu'un enfant volant sur un biplan et que seuls les avocats de feu Mr. Schultz, sans doute, empêchent d'appeler Snoopy, ou le “that's all, folks” final, si tout cela donc est un développement utile, un passage à la limite, ou au contraire une excroissance inutile, une surenchère stérile n'apportant pas grand-chose par rapport au jeu des références originelles. Chacun tranchera pour son compte.
Par ailleurs, les amateurs de S.-F. stricto sensu ne sont pas oubliés. L'univers décrit ne se limite pas à une réalité virtuelle pleine de crieurs de journaux, de maîtres du crime, de bistrots, de taxis qui arrivent au moment où on en a besoin, de privés en imperméables, de beautés fatales de temples asiatiques pour sacrifices humains, de réunions d'encagoulés, etc.
Il y a aussi le monde d'où ces rêves sont projetés. Nettement moins détaillé, donné pour évident, mais reconstitué par petites touches. Avec des androïdes omniprésents. Avec des vaches manifestement issues de manipulations génétiques qui en font des montagnes de viande et impliquent que les fermiers se dotent d'un exosquelette pour s'occuper d'elles. Avec une intelligence artificielle régulant la société, avatar modernisé du grand ordinateur omnipotent, passé un moment à la trappe lorsque ses petits frères domestiqués et bien réels se sont multipliés sur les bureaux des auteurs, et de leurs lecteurs. Avec un art du Rêve, avatar explicite du cinéma. Avec aussi un futur antérieur, à peine esquissé, tout juste suggéré par quelques buttes-témoins, une allusion à une “deuxième croisade morale” supposée menée par les jésuites — en pays catholique, ou aux États-Unis, on verrait plutôt l'(oct)opus dans le rôle, mais les traditions anglicanes et les formes traditionnelles du no popery! ont la peau dure —, et des listes de conquérants ou d'artistes où se succèdent noms tirés de notre passé et références à venir. Et avec, sinon la réflexion “sur le thème des réalités virtuelles” que l'on pourrait attendre sur la foi de la quatrième de couverture, du moins des pistes intéressantes, y compris juridiques quand il est question de la liberté de rêver, et de l'impossibilité pour la police d'intervenir dans les rêves d'une personne privée…
Ces deux aspects se mêlent avec une prépondérance du premier. Il s'agit en fait, pour un Rêveur spécialisé dans les aventures de détective privé, et pour une de ses collègues beaucoup plus douée, d'aller débusquer un génie du crime dans l'univers qu'il s'est créé, qui lui permet d'échapper de facto au pénitencier où il est enfermé, mais peut-être aussi de menacer l'intelligence artificielle sus-mentionnée. Et si on pourrait sans doute imaginer sur le même thème, quelque chose de mieux construit, de plus tenu, de plus serré, et qui pourrait être un très grand livre, ce que l'on a ici est déjà bien agréable, se laisse lire du premier degré au énième, et combine avec délectation trouvailles et archétypes. Pour un inédit, diffusé au format poche, ce n'est déjà pas mal, et c'est une litote.