Keep Watching the Skies! nº 55, novembre 2006
Joëlle Wintrebert : le Canari fantôme
roman fantastique
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Voici un curieux objet, que je n'aurais sans doute jamais trouvé si son auteur — qu'elle en soit remerciée — ne me l'avait pas signalé. La collection "Train jaune", axée (dixit l'éditeur) sur la littérature populaire, a pour objet de mettre en scène le “petit” train qui relie Villefranche-de-Conflent à La Tour de Carol (en Catalogne Nord, à l'ouest de Perpignan). C'est une ligne acrobatique, nichée dans les détours d'une superbe vallée pyrénéenne, et qui débouche sur la Cerdagne, plaine d'altitude curieusement partagée entre France et Espagne depuis 1959. De quoi fournir déjà des sujets accrocheurs, mais quand en plus la région Languedoc-Roussillon subventionne le projet, ça stimule la création (reste à savoir si cela stimule la diffusion, mais c'est une autre question ; pour l'instant, la collection en est demeurée à deux numéros).
Le Canari fantôme ne cache pas son jeu : c'est une histoire de fantôme, et même de train fantôme — ben tiens… —, mais, ouf, pas seulement. Manu est traducteur, il vient de rompre, il a besoin de se ressourcer — et de se remettre au travail. Ordonnance de son médecin et ami : un séjour en gîte rural à Sauto, au-dessus de la ligne du train jaune.
Mais dès son arrivée, Manu n'a guère l'impression d'aller mieux dans sa tête : une fille apparaît et disparaît dans les phares de sa voiture, un train passe, tous feux luisants, à un horaire où aucun train ne circule, tous les cheminots en jurent leurs grands dieux. En bon protagoniste de Fantastique français, Manu se penche sur le problème, jusqu'à s'y plonger entièrement — pour son plus grand plaisir.
Classique, de ce point de vue, mais superbement écrit, et richement documenté — tâche imposée, direz-vous ; mais c'est quand même passionnant, et essentiel à l'intrigue. Bonne peinture aussi des oscillations de Manu entre trois femmes, toutes à des degrés divers réelles et fantasmées. Bel exemple de protagoniste masculin réussi par un auteur féminin, soit dit en passant ! C'est plus un long récit qu'un roman, bien sûr, mais c'est une lecture très agréable — et pas uniquement pour le train, j'espère, même si j'avoue avoir dévoré l'opuscule sur les rudes banquettes de la S.N.C.F.