Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007
Juan Miguel Aguilera : Riḥla
(Riḥla)
roman fantastique
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Nous sommes en l'an 890 de l'Hégire (1485 de notre ère). Assommé par les coups de boutoir des armées chrétiennes, le royaume musulman de Grenade vit ses dernières années. Lisán al-Aysar, un érudit de la ville, a découvert, gravé sur des tablettes très anciennes, l'incroyable récit de la fin cataclysmique d'une île grecque (sans doute Santorin) et de l'exil d'une partie de sa population, sous le commandement du cruel et mystérieux Talos le Rouge, vers une terre inconnue située au-delà de l'océan occidental. Grâce à un puissant (et quelque peu sinistre) négociant mamelouk, Baba ibn Abdullah, Lisán participe à une expédition secrète vers le continent inconnu, avec un équipage turc et un détachement de soldats d'al-Andalús. Après les péripéties qu'on imagine, ils débarquent sur la côte du Yucatán… et sont promptement faits prisonniers par des Mayas alliés aux mexica (ceux que nous connaissons sous le nom de Nahuatl ou Aztèques), qui massacrent la plupart d'entre eux lors d'un sacrifice humain. Mais Lisán est libéré par un guerrier d'un village maya qui résiste encore aux envahisseurs venus du Nord, et avec quelques compagnons, il va participer à la lutte désespérée de ses hôtes…
S'il décrit des événements inconnus de notre propre ligne temporelle, Riḥla ne relève pas nécessairement de l'uchronie : Lisán quite Grenade avant la date de sa chute dans notre monde, et rien ne nous dit que cet événement n'ait pas lieu dans le monde du roman à la date habituelle ; le Mexique précolombien qui nous est décrit semble compatible avec ce qui est en connu. Seul novum du livre, le combat de sorcellerie que se livrent “Baba” (on saura qu'un personnage beaucoup plus sinistre d'origine valaque se dissimule derrière le pseudonyme) et le Mujer Serpiente, le grand prêtre des mexica. Le roman relève donc du Fantastique, mâtiné d'Histoire secrète — mais c'est le propre du Fantastique de s'insérer dans les failles d'inconnu que laisse subsister notre cadre de vie. Une pincée de S.-F., si on veut — l'invocation des extraterrestres par Lovecraft ne l'arrache pas pour moi au domaine du Fantastique —, se glisse dans la présence de comètes qui ont frappé la Terre, et la refrapperont, pour la faire passer d'une ère dans une autre. Mais quand, à un moment crucial du livre, se présente un nouveau projectile de glace, son arrivée est traitée d'une façon qui semble royalement ignorer la mécanique céleste : elle est présentée comme se trouvant au-dessus deTenochtitlán avant de venir l'écraser, ce qui néglige la rotation de la Terre, chose bien invraisemblable vues les vélocités et les distances impliquées.
Ce qui m'a gêné dans ce livre est ce qu'on pourrait appeler le syndrome Apocalypto : une bonne partie de sa durée est occupée par des descriptions obsessives — ou seraient-elles seulement frappantes ? — des aspects les plus sanguinaires de la religion nahuatl. Cette accumulation de violences, et la relative pénurie d'éléments intéressants du point de vue l'imaginaire, m'ont conduit à une profonde lassitude. Si Aguilera avait su se montrer inventif et surprenant dans la Folie de Dieu, au début tout du moins, il semble ici s'être laissé entraîner par une fascination morbide pour le Mexique précolombien — il livre une clé personnelle pour une telle fascination dans la brève postface de l'ouvrage. Je ne peux guère recommander la lecture… même si le livre est fait avec talent, vous plonge totalement dans son univers et est formidablement documenté sur les civilisations qu'il prend pour cadre.